Notre porte-parole Pierre Eyben cosigne cette carte blanche parue dans le journal Le Soir et qui propose un amendement à l’article 1er de la Constitution afin de renforcer le socle de notre Etat de droit.

Liège vient d’être frappée une nouvelle fois par la violence. On se souvient qu’en décembre 2011, dans un autre contexte, la ville avait déjà été endeuillée par une terrible fusillade. Des victimes innocentes sont à déplorer. Deux agents de police, Soraya Belkacemi, Lucile Garcia et un jeune homme, Cyril Vangrieken, sont morts assassinés par la haine. L’attaque de Liège s’inscrit dans une longue succession d’actes de terreur auxquels l’Europe et le monde sont confrontés depuis trop longtemps. Si cette violence a des couleurs locales, sa réalité est mondiale.

Un cas d’école

Comme à chaque attaque, les réactions pleuvent. L’impuissance et les larmes le disputent à la colère sourde qui monte. La tonalité générale des réactions publiques est restée d’une grande dignité. Cela n’empêche pas de nombreux citoyens de ressentir la peur et de nombreux musulmans de craindre de subir les conséquences de ce nouvel acte ignoble. L’appartenance ne dit pourtant rien de cette idéologie meurtrière. A l’échelle globale, les musulmans sont les plus nombreux à tomber sous son feu. Ses sicaires sont recrutés dans nos pays riches comme ailleurs dans les régions pauvres de la planète, dans nos quartiers urbains paupérisés comme dans les villages de nos campagnes. Ils proviennent de toutes les origines culturelles, philosophiques et religieuses. S’il fallait s’en convaincre, le profil du tueur de Liège, converti originaire d’une paisible localité du cœur de la Wallonie, est un cas d’école en la matière.

Un sens qui nous échappe

L’assassin a crié distinctement «  Allahu Akbar  » à plusieurs reprises. Cela fait-il de l’ensemble des musulmans des coresponsables ? L’expertise est volubile. Les médias relaient. Et les interprétations pullulent. Islamisation de la radicalité, radicalisation de l’islam, rejet du postcolonialisme, échec de l’intégration, conséquence des discriminations, produit du communautarisme, etc. Mais, en vérité, le sens des causes profondes de cette violence à répétition nous échappe. Le nombre des questions supplante celui des réponses. Et notre réaction collective, faudrait-il s’en étonner, est hésitante.

Traiter le mal en amont

Après Liège, après Bruxelles et après toutes ces autres villes meurtries dans le monde, que dire sans se répéter ? Que faire mieux qu’hier ? Comment réagir plus efficacement ? Nous prenons au sérieux l’idée que chaque citoyen a une part de responsabilité dans la marche du monde et sommes convaincus qu’agir vaut mieux que se résigner. Il n’est pas nécessaire d’élucider scientifiquement la nature, les causes profondes et la mécanique du djihadisme global pour admettre qu’il prospère sur des crises de légitimité multiples et que c’est aussi au traitement démocratique de ces crises qu’il convient de s’attaquer partout (international, national, local) et à chaque niveau où elles se posent (famille, école, emploi, etc.). Traiter ces maux en amont est une précondition du succès de la lutte répressive contre le terrorisme et la radicalisation violente. L’enjeu est double : mieux résister, partout dans le monde, à cette idéologie et prévenir, dans toutes les sociétés multiculturelles, la division, le conflit et la haine qu’elle cherche à déclencher.

Beaucoup de propositions, peu d’actions

On objectera que ces crises de légitimité sont bien connues et s’ancrent dans des situations difficiles. Dans le monde arabo-musulman, ce sont celles des inégalités socio-économiques et des pouvoirs autocratiques verrouillés que le printemps arabe avait tancés. Dans les sociétés européennes, c’est la place de la différence identitaire dans l’espace public qui est en débat depuis plus de trois décennies. En Belgique, depuis le premier dimanche noir, le 9 octobre 1988, soit il y a presque exactement 30 ans, des centaines de propositions ont été formulées pour améliorer le vivre ensemble, du Commissariat Royal à la Politique des immigrés, à la Commission du Dialogue Interculturel en passant par les Assises de l’Interculturalité. Très (trop) peu ont pourtant été appliquées.

Ne pas alimenter des dynamiques de rupture

Aujourd’hui, certains mettent l’accent sur la nécessité de renvoyer tous les débordements de religiosité musulmane dans l’espace privé en renforçant la séparation de l’Eglise et de l’État. Ce fut le premier réflexe de notre Parlement fédéral après les attentats de janvier 2015 à Paris en ouvrant la réflexion sur l’intégration de la laïcité dans la Constitution. On aimerait que cette stratégie soit efficace et suffisante. Mais elle n’est pas sans difficulté. Comme l’a rappelé la Cour constitutionnelle, la laïcité en Belgique s’entend aussi comme philosophie engagée impliquant l’adhésion à certaines valeurs. S’il faut maintenant la constitutionnaliser, cela doit être envisagé dans un sens précis. La laïcité, comme sa vocation historique l’y engage, doit servir un projet politique inclusif, émancipateur, libérateur et rassembleur. Elle devra se garder de dresser pour seul horizon l’adoption de législations tout entières tendues vers la réduction des droits et libertés religieuses car elle finirait alors par alimenter les dynamiques de rupture et de contre-identification qu’elle était précisément censée combattre.

Osons parler de « réconciliation »

En matière de coexistence dans la diversité, il faut envisager de nouvelles directions, différentes de celles du populisme identitaire actuellement à l’œuvre dans le pays. Une lutte efficace contre la radicalisation et le terrorisme – c’est l’évidence même – nécessite, comme précondition, d’organiser la société en mettant tout en œuvre pour faire pointer le baromètre de l’intolérance et du racisme sur zéro. La société devrait également se rapprocher et accompagner pro-activement la population de confession et/ou d’ascendance musulmane pour l’aider à sortir de cette prise d’otage dont elle est l’objet. En d’autres mots, plutôt que de s’éloigner, ne faut-il pas, au contraire, imaginer et encourager une politique de la main tendue, pour ne pas dire une réconciliation ?

Réduire la complexité du monde

Il n’est peut-être pas possible d’offrir des réponses simples à des questions aussi complexes que le djihadisme mondialisé. Mais on peut réduire la complexité du monde en recréant de la légitimité au vivre ensemble là où, en tant qu’élus ou citoyens, nous avons une prise. Nous devons nous efforcer d’offrir, notamment aux jeunes, des terrains d’engagement citoyens et démocratiques qui pourraient peut-être un jour constituer des alternatives à toutes les formes de tentation vers l’engagement en rupture avec la société ou violent.

Comprendre n’est pas excuser

Nous ne disons pas que notre société est coupable des attaques qu’elle subit. Seuls leurs auteurs en portent la responsabilité et leur idéologie doit être vigoureusement combattue. Nous n’affirmons pas que le besoin légitime de comprendre et la volonté d’expliquer excusent quoi que ce soit. Nous refusons de faire porter en bloc aux musulmans une responsabilité collective. Nous pensons que la violence djihadiste est avant tout le produit d’une idéologisation mortifère des textes de référence de l’islam. Et nous croyons que nos sociétés seront mieux outillées pour lutter contre la terreur si elles sont plus démocratiques, plus inclusives, plus égalitaires, plus solidaires et non l’inverse.

Et nous voulons nous mobiliser pour faire un premier pas concret dans cette nouvelle direction en proposant un amendement à l’article premier du contrat qui nous lie tous : la Constitution. Ce nouvel article 1er serait formulé comme suit : « La Belgique est un État de droit laïque, démocratique, social, interculturel et philosophiquement neutre. Il assure l’égalité devant la loi et l’égale dignité de tous les citoyens. Le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie ainsi que toute discrimination fondée sur le genre, l’origine, la prétendue race, la religion, l’âge, les convictions, l’orientation sexuelle, le handicap, l’état de santé ou sur tout autre critère est interdite ». En cosignant ce texte, nous voulons manifester notre engagement à agir en faisant du premier article de notre charte fondamentale le socle de notre attachement à l’État de droit et aux droits des citoyens dans la pleine reconnaissance de la diversité de la société, prélude à une lutte encore plus unifiée pour l’espoir et contre la haine.

*Les signataires :

Hassan Bousetta, fondateur d’Article193.be, chercheur FNRS au CEDEM (ULiège)

Muriel Gerkens, députée fédérale ECOLO

Marco Martiniello, vice-doyen à la Recherche à la Faculté des Sciences Sociales de l’ULiège, directeur de recherche FNRS et du CEDEM

Fatiha Saïdi, Sénatrice Honoraire PS, ancienne députée bruxelloise, échevine à Evere, membre fondatrice d’Article 193

Jean-Jacques Jespers, professeur émérite ULB

Valérie Piette, professeur d’histoire, vice-doyenne de la Faculté de Philosophie et Sciences Sociales

Pierre Eyben, porte-parole du mouvement Demain

Yamina Meziani, vice-présidente de la Maison de Laïcité à Liège

Daniel Martin, directeur Setisw service interprétariat en milieu social

Simone Susskind, députée bruxelloise, sénatrice fédérale

Pierre Degroot, membre fondateur d’Article 193

Dominique Dauby, secrétaire régionale des Femmes Prévoyantes Socialistes à Liège

Malik Ben Achour, échevin à la ville de Verviers

Tamimount Essaïdi, responsable associative, anthropologue

Thibault Vanderhauwart, membre fondateur d’Article 193

Malika Madi, écrivain

Michaël Privot, directeur du réseau européen contre le racisme ENAR

Arzu Tatli, maître-assistante à la Haute Ecole Condorcet

Jean-Yves Pirenne, membre fondateur d’Article 193

Fatima Zibouh, doctorante à l’ULiège

Diego Sanges, conseiller politique, membre fondateur d’Article 193

Lara Youssef, journaliste, membre fondatrice d’Article 193

Mustapha Finnich, maître-assistant à la Haute école de la Province de Liège, membre fondateur d’Article 193

Magali Macours, présidente des Femmes Prévoyantes Socialistes secteur associatif, Solidaris Liège

Rachid Bathoum, sociologue, membre fondateur d’Article 193

Marie Wibrin, maître-assistante à la Haute école Condorcet

Mohamed El Khattabi, consultant dans le secteur privé

Sandra Zidani, humoriste, humaniste

Najib Ghallale, Metteur en scène

Jean-François Bachelet, citoyen

Mattias De Backer, chercheur postdoctoral au département de criminologie de la KU Leuven

Nagi Sabbagh, président du Centre culturel arabe en Pays de Liège

 

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