Les résultats des trois scrutins qui se sont tenus ce 9 juin constituent une véritable claque pour toute la gauche en Belgique. Les raisons qui expliquent cette débâcle sont multiples. Nous analysons ici ces résultats et tentons d’en identifier un certain nombre. Mais plus que tout, nous proposons des pistes pour que la gauche, toute la gauche, puisse demain mieux travailler ensemble. D’abord pour résister aux temps mauvais qui s’annoncent. Ensuite pour partir à la reconquête car, oui, notre société a besoin de justice sociale, de services publics forts, d’une écologie véritable qui s’attaque au productivisme, et de plus de démocratie.
Les résultats
Si le PTB progresse en Flandre (+5 sièges), c’est au détriment de Groen (-5) qui s’effondre. Au total, la gauche ne gagne pas un seul siège et demeure totalement minoritaire (36 sièges sur 126 soit 28%). La N-VA recule un peu (-4) mais demeure le premier parti (31 sièges) à égalité de sièges avec le Vlaams Belang qui est le grand vainqueur (+8 sièges). N-VA et VB totalisent désormais 62 sièges, ratant de très peu la majorité.
À Bruxelles, côté francophone, le PTB est en hausse (+5 sièges) mais sa hausse ne compense pas la baisse d’ECOLO (-8) et du PS (-1). Le MR est (de loin) le premier parti (20 sièges soit +7). Côté flamand, Groen maintient ses 4 sièges, Vooruit ses 2 sièges et le PVDA en obtient 1 mais c’est la seule bonne nouvelle à gauche. Le Belang gagne un second siège et le nouveau venu est la “Team Fouad Ahidar” (avec 3 sièges), une liste portée par le président sortant de la VGC (Vlaamse gemeenschapscommissie) un des 4 exécutifs bruxellois, exclu de Vooruit, qui a mené une campagne communautaire sur les thèmes de l’abattage rituel, de l’autorisation sans restriction du voile dans l’administration et d’une approche opportuniste, confuse et maladroite du conflit à Gaza. Rien de réjouissant pour une gauche laïque et universaliste.
En Wallonie, c’est encore plus limpide, les trois partis de gauche sont en baisse. Le PTB connaît une première et claire baisse (passant de 10 à 8 sièges), le PS recule nettement (de 23 à 19 sièges) et ECOLO s‘effondre complètement (de 12 à 5 sièges). La gauche qui était largement majoritaire (45 sièges sur 75) ne compte plus que 32 sièges. Le MR devient le premier parti wallon (26 sièges). Avec Les Engagés, ils disposent d’une confortable majorité (43 sièges sur 75).
Dans ce contexte, même si le PTB progresse au total, nous avons beaucoup de mal à comprendre ses discours enthousiastes . Ces élections sont une victoire pour la droite partout, et pour l’extrême-droite en Flandre. Personne ne peut être heureux à gauche sinon à prôner une politique de la terre brûlée.
En outre, l’abstention est à nouveau en hausse. Elle concerne plus d’un million d’électeurs (12%). Cela aussi est un triste signal.
Notons encore à l’Europe le score assez élevé (50.000 voix et près de 2%) de la liste “Les Anticapitalistes” déposée par nos camarades de la gauche Anticapitaliste. Cela démontre qu’un potentiel existe pour une voix clairement anticapitaliste et écosocialiste même si l’on ne peut éviter de se demander si ces voix ne “coûtent” pas un siège utile au PTB.
Des causes
En Wallonie, une étude récente de l’IWEPS le pointe assez crûment : la confiance dans nos élus est en chute libre. Alors que le taux de confiance était (encore) de 40% en 2018, il est désormais de 20%. La gestion bancale de la crise Covid et de nouvelles “affaires” au Parlement wallon sont notamment passées par là. Et il en va de même dans les autres Régions. C’est assez effrayant, car une société qui ne croit plus en son système politique et en ses élus, constitue une proie pour les adversaires de la démocratie, que ce soit ceux qui pensent que “le marché” doit être roi, ou ceux qui pensent que nous avons besoin d’un “régime fort”.
Dans ce contexte, la campagne binaire et clivante du MR a séduit un électorat en recherche de solutions simplistes. Un MR bien plus à droite qui a profité également du report de la plupart des 6% des voix qui en 2019 se répartissaient sur diverses listes d’extrême-droite. On se “réjouira” quand même que la liste “Chez nous” n’ait pas réussi à les agréger et n’obtienne pas d’élu. Ce qui doit nous faire collectivement réfléchir, c’est que derrière le succès du MR, se cache le succès du clivage et de la polarisation parmi une population fatiguée du système du “compromis à la belge”.
Il faut aussi noter la grande difficulté de proposer une écologie qui modifie nos habitudes pour répondre au défi environnemental qui est devant nous. À titre d’exemple, tenter de mettre fin au tout à la voiture, ou encore le commerce en ligne qui cause une explosion de la livraison par colis et la hausse du fret aérien, tout cela nourrit une réticence certaine d’une partie importante de la population. Le mouvement des Jeunes pour le Climat est également face à un moment de réflexion interne : les grandes manifestations massives, nombreuses mais pacifiques se sont arrêtées lors de l’entrée des écologistes aux gouvernements. Ce fut à notre estime une erreur importante, car même des ministres “alliés” de la cause écologique ont besoin d’une pression et d’un soutien militant massif et vivant depuis la rue.
De plus, face aux multi-crises mondiales, l’angoisse de tomber dans la pauvreté -l’inflation a réactivé la question sociale-, le recul de la cohésion sociale constructrice de commun, la peur de la guerre, des dérèglements climatiques et du crime organisée sont autant de facteurs sur lesquels il faut que la Gauche s’arrête pour y réfléchir et contrecarrer les succès de la droite, qui, pour l’instant et de façon factice, répondent plus aux attentes des citoyens et citoyennes.
Enfin, le paysage médiatique terriblement marqué à droite, couplé à l’impact croissant des réseaux sociaux (et de leurs algorithmes qui favorisent le “buzz” et ne contrôlent rien des “fake news”) aura aussi joué un rôle négatif. Le président du MR a beau se plaindre des “médias de service public de gauche”, tout en y recrutant des candidats, la réalité est que la grande majorité de la presse (propriété de grands groupes privés) et des médias sont marqués à droite.
Des pistes
La gauche doit se parler sinon nous serons toutes et tous emportés demain par la vague conservatrice, sinon néofasciste. Le fait que les partis de gauche passent plus de temps à se tirer dans les pieds qu’à tisser des liens (dans le respect des différences) n’est plus acceptable. Pour la gauche véritable, celle qui veut transformer ce monde, il faut créer des lieux où il est possible d’échanger. Il faut rendre possible l’idée d’un front populaire nouveau (comme en France). Et nous persistons à penser que le terreau idéologique commun, sur lequel faire pousser cette unité, est l’écosocialisme, soit une écologie réellement populaire et non-productiviste, un socialisme de rupture (et pas de cogestion) réellement anticapitaliste, et un souci véritable de réinventer la façon dont fonctionne notre démocratie pour aller au-delà de la particratie et des mécanismes de représentation actuels.
Les élus locaux conservent un taux de confiance bien plus élevé que les autres. Plus proches, traitant de questions qui touchent plus directement au quotidien de la population, au contact direct avec celle-ci et de ses problèmes, ils sont mieux à même de construire un lien. Plus que jamais, nous plaidons pour des alliances rouges-vertes à l’échelon communal. Plus que jamais nous prônons des mécanismes de démocratie plus directe, de tirage au sort et de budgets gérés directement par les habitants. Singulièrement dans les grandes villes, nous pensons qu’il est possible de faire la démonstration d’un autre modèle, inspiré du communalisme. La gauche dans son ensemble doit proposer aux électeurs et électrices que les prochaines élections communales soient l’occasion de faire des communes, pas seulement des bastions de résistance à la droite au pouvoir (cette première étape est importante) mais également que les communes, villages et villes soient les modèles des politiques alternatives… Avec le message suivant : “Aujourd’hui une politique écosocialiste déployée à la commune, demain avec votre soutien, déployée au sommet de l’État”.
Il faut également que le fait d’être un élu redevienne un temps dans la vie, pas un métier, un projet de carrière. La politique professionnelle tue la démocratie. Les affaires qui semblent ne jamais cesser font un tort abominable à la démocratie. Dans une société d’inégalités sociales et où trop souvent encore la violence se déchaîne, face au pouvoir qui corrompt, il faut clairement des garde-fous.