Les agriculteurs de l’Union européenne sont en colère, et il y a de quoi. Depuis ses origines, la Politique agricole commune de l’UE a visé des objectifs quantitatifs, ce qui faisait sens dans l’immédiat après-guerre mais plus depuis longtemps, et non qualitatifs. Dans une perspective de plus en plus libérale, nos agriculteurs ont été livrés à la concurrence, d’abord entre eux puis avec le reste de la planète. Les effets sur le prix, favorables pour les consommateurs mais catastrophiques pour les travailleurs agricoles, se font sentir chaque jour davantage. La chute des prix ne peut être compensée que par un accroissement permanent de la production, au prix d’investissements coûteux dans la mécanisation et d’énormes dépenses dans les intrants, sources d’un endettement toujours croissant. Les problèmes engendrés ainsi dans la qualité des produits agricoles font l’objet de timides mesures pour limiter l’empoisonnement des consommateurs, de la biodiversité et de l’eau, mais qui exaspèrent les agriculteurs dont la production est ainsi un peu ralentie. Ceux-ci s’énervent aussi de l’arrivée de produits étrangers non soumis aux mêmes normes de qualité.
La colère compréhensible des agriculteurs est cependant souvent mal dirigée. Ceux-ci s’impatientent en effet des conséquences des politiques agricoles européennes et nationales mais omettent le plus souvent de s’attaquer aux causes profondes du désastre. La première cause est en effet la soumission des agriculteurs à une logique purement libérale qui ne peut que conduire à la situation concurrentielle et mortifère actuelle. Les agriculteurs suivent le chemin réservé jadis aux sidérurgistes, et leur fin ne sera pas notre faim: nous mangerons les produits importés d’autres agriculteurs encore plus maltraités qu’eux.
L’agriculture qui nourrit les populations ne peut pas être réduite à une activité purement économique soumise aux lois aveugles du marché. Il est temps de rendre aux agriculteurs le statut particulier dont ils bénéficient depuis l’origine de l’humanité. Ceci suppose que toutes les régions du monde reprennent le contrôle des flux de produits agricoles par un protectionnisme social, écologique et solidaire qui donne à tous un accès à une nourriture de qualité et produite avant tout localement. Ceci implique évidemment d’en finir avec de nouveaux traités de libre-échange et de sortir de ceux déjà conclus.
Les subsides doivent dorénavant être réservés aux producteurs de qualité qui doivent pouvoir bien vivre de leur travail. Les revenus de l’agriculture doivent aller aux producteurs et cesser d’enrichir l’agro-industrie et la spéculation.
Thierry Bingen