Bousculée par le nouveau calendrier scolaire, la cloche a sonné le 7 juillet cette année. Plus que les élèves de l’enseignement primaire et secondaire, ce sont les enseignant·es qui se sont précipité·es sur la sortie des classes, épuisé·es qu’ils et elles sont par un système scolaire toujours plus aliénant. La pénurie de profs, les classes surchargées, la perte des logopèdes en intégration pour les élèves ayant des troubles de l’apprentissage, les horaires à se partager sur plusieurs écoles, les trajets non-remboursés, les heures supplémentaires non-payées, les publications de circulaires à un rythme effréné, les nouveaux décrets… on laisse tout cela dans notre sac à dos et on part en vacances !
Une qui n’a pas eu l’intention de quitter le navire si vite, c’était la Ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS). Comme chaque année, son agenda l’a rappelée à l’ordre. Les profs sont parti·es en vacances, c’est l’heure de faire sonner une autre cloche : celle des réformes.
Donne-moi ta main et prends la mienne
La cloche a sonné, ça signifie
La rue est à nous que la joie vienne
Mais oui, mais oui, l’école est finie
Main dans la main avec ses alliés libéraux, Caroline Désir a profité de l’absence des enseignant·es pour faire entrer au Parlement de la Communauté Française le texte surnommé très justement par les syndicats « le décret sur l’évaluation-sanctions des enseignant·es ». Quoi ? Vous avez l’impression de vivre un phénomène de déjà vu ? Non, non, vous ne rêvez pas.
Le texte contre lequel se sont battu·es les enseignant·es pendant deux ans, structuré·es par leurs syndicats, durant 6 manifestations et 8 grèves, allant jusqu’à 15 000 profs dans les rues de Liège en 2022, poussant les syndicats à sortir des travaux de négociations sur le Pacte d’Excellence, poussant la ministre Désir à reculer en mars 2023 en annonçant ne plus travailler à ce projet, cette fameuse « ligne rouge à ne pas franchir » d’après les syndicats socialistes, chrétiens et libéraux en union syndicale… Circulez, y a rien à voir ! Ce décret a été approuvé par la majorité PS-MR-Ecolo, appuyée par l’opposition Les Engagés et DéFI, le 19 juillet 2023, quand aucun professionnel de l’enseignement n’était présent pour se défendre.
Ainsi, ce décret prévoit deux volets : un premier qui vise à aider les jeunes enseignant·es à développer leurs compétences professionnelles (approuvé par tous les syndicats), et un second qui vise à sanctionner durement les enseignant·es qui présenteraient « des carences pédagogiques ou une mauvaise volonté manifeste ». De quelle « mauvaise volonté manifeste » parle-t-on ? On ne sait pas… Sur quels critères ? On ne sait pas… Et puis on s’en fout peut-être…
Quelles sanctions ? Ça, par contre, on le sait ! Le licenciement, évidemment ! Ce décret entrera en vigueur en septembre 2024, et le volet « sanctions » en septembre 2026 (pas folle, la Caroline Désir, elle ne sera plus ministre d’ici là !).
Nous irons danser ce soir peut-être
Ou bien chahuter tous entre amis
Rien que d’y penser j’en perds la tête
Mais oui, mais oui, l’école est finie
Un léger problème tout de même : les profs n’en veulent pas ! Ils et elles ont été clair·es : non, c’est non ! Pourquoi ? Parce qu’il existe déjà des procédures de sanction pour les enseignant·es dysfonctionnel·les. Parce que ce sont les directions qui seront en mesure d’évaluer les capacités pédagogiques des enseignant·es, et non plus l’inspection comme le prévoient d’autres textes. Parce que c’est un pouvoir énorme donné aux directions et pouvoirs organisateurs des écoles, qui pourraient (seulement s’ils le veulent) axer leurs évaluations sur des questions de productivités, de taux de réussite ou d’heures de travail gratuites offertes à l’école. Parce qu’un délégué de la direction (un·e collègue direct·e) pourrait être en mesure de passer un entretien diagnostic avec un·e enseignant·e. Parce qu’aucune sanction positive ne sera mise en place dans le cas où l’enseignant·e est excellent·e.
Parce que plutôt que de travailler à diminuer le nombre d’élèves par classe, plutôt que de rembourser tous les trajets des profs, plutôt que de diminuer la charge de travail administrative des profs, plutôt que d’ajouter des logopèdes en intégration, plutôt que d’élaborer un plan pour effacer l’élitisme scolaire, les écoles ghettos (de riches et de pauvres), plutôt que d’améliorer l’offre scolaire ou d’en finir avec le marché scolaire, la ministre Caroline Désir préfère accélérer les processus de licenciement des profs. Dans un système scolaire en pénurie de profs.
Que cherche donc cette ministre « socialiste » ? Oh, il est vrai qu’elle travaille à enveloppe fermée : le budget de l’enseignement en Communauté Française est directement lié au budget attribué par le gouvernement fédéral. Alors, quoi ? Serait-ce une ministre « économe », qui préfère voter des décrets pour licencier des profs, et donc diminuer la part du budget attribué aux salaires à payer ? On comprend ainsi pourquoi elle a fait voter, toujours en juillet, ce décret qui diminue l’offre d’options dans le qualifiant. Trop de classes ouvertes pour trop peu d’élèves. Trop cher. On supprime.
Et on le fait en juillet, alors que les profs sont incapables de se défendre.
Cela ne vous rappelle rien ? Mais si, nous vous avions déjà parlé de cette méthode l’année passée. Souvenez-vous : le nouveau Parcours de l’Enseignement Qualifiant a, lui aussi, été voté en pleine période de vacances scolaires. Juillet 2022 !
Face à ce manque manifeste de démocratie en excluant les syndicats et les professionnels du métier, Caroline Désir joue un jeu très dangereux. Un jeu de ministre libérale. Un jeu lié aux budgets plutôt qu’à une véritable réforme de l’enseignement pour permettre une totale égalité de traitement entre tous·tes les élèves de la Communauté Française. Un jeu qui pourrait pousser les profs à des grèves en pleine rentrée scolaire en août 2023. Un jeu qui risquerait bien de lui faire perdre le vote traditionnellement socialiste des profs… et qui pourrait bien faire s’effondrer notre système scolaire !
Shella avait raison : « Mais oui, mais oui, l’école est finie ! »
Une opinion de Luca D’Agostino