Après une expérience aux régionales en 2019, le Mouvement Demain a décidé de ne pas se présenter pour les scrutins régionaux, fédéraux et européens du 9 juin prochain. Pour diverses raisons expliquées par ailleurs, nous avons fait le choix de concentrer nos forces (limitées) sur les scrutins communaux d’octobre lors desquels nous viserons un élargissement de notre implantation locale.

Pour autant, comme mouvement politique, il nous a semblé important de donner notre analyse sur le triple scrutin à venir, les forces en présence, et les enjeux qu’il soulève.

Les enjeux du 9 juin

Un temps préservé, l’espace politique européen est progressivement colonisé par des forces politiques réactionnaires extrêmement inquiétantes. L’impasse du modèle économique actuel, soit la forme ultralibérale du capitalisme, conduit malheureusement une partie croissante de populations en souffrance à se tourner vers les fausses solutions de l’extrême-droite. Une partie non négligeable de la droite lui emboîte le pas, souvent soutenue par de puissants médias privés. Les thématiques de la sécurité et de la migration occultent largement les véritables enjeux économiques. Les ferments de la montée du fascisme (crise économique aiguë, xénophobie, et médias de masse privés aux mains d’une bourgeoisie idéologiquement complaisante) largement analysés par le Conseil National de la Résistance au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale (ce qui conduira notamment à une reprise en mains par les pouvoirs publics des médias collaborationnistes dans de nombreux pays) semblent malheureusement à nouveau présents dans notre société.  

Alors que l’extrême-droite est largement dominante en Flandre, la Wallonie et Bruxelles sont à ce jour préservées électoralement de ce fléau. Pour autant, certains discours réactionnaires et racistes s’y diffusent également. Le MR, porté par son président omniprésent, ce qui cache d’ailleurs sa faiblesse puisqu’il a perdu les dernières élections de 2018 et 2019 mais participe malgré tout à de nombreux exécutifs, joue un rôle majeur en ce sens en faisant le choix d’une démagogie assumée mais s’exprimant différemment en Wallonie et à Bruxelles. En Wallonie, le choix est fait de franchir allègrement le cordon sanitaire, que ce soit dans le discours ou dans la pratique pour capter les voix de l’extrême-droite. À Bruxelles, il s’agit de miser sur la colère de façon populiste (par exemple sur le dossier de la mobilité) mais aussi et surtout de chercher à séduire les Bruxellois d’origine étrangère en les renvoyant à leur identité ou communauté d’origine supposée, à leur couleur de peau, à leur religion. Pour faire barrage à ce populisme qui ouvre la voie à l’extrême-droite, il convient donc aujourd’hui de faire barrage au MR.

Les forces en présence

Dans ce contexte, il nous semble absolument essentiel de faire entendre sa voix et de renforcer la gauche. Oui mais quelle gauche ?

Le premier parti, en termes de poids électoral et d’implantation locale, demeure le Parti Socialiste. Récemment, ce parti a fait un aggiornamento idéologique en adoptant le concept d’écosocialisme. Ayant les premiers à l’échelle de la Wallonie et de Bruxelles revendiqué ce concept, c’est une évolution que nous ne balayons pas d’un revers de main. Force est de constater cependant que dans la pratique et sur le terrain, le compte n’y est pas. Un des fondements de l’écosocialisme consiste à réimbriquer l’économie dans les limites que nous impose la biosphère et de lui redonner sens socialement. Hormis le développement de la filière de l’économie sociale (mais qui demeure marginale), quasi rien dans la politique portée à grande échelle par le PS, singulièrement au plan régional où se joue l’essentiel des choix économiques publics, ne va dans ce sens. En Wallonie par exemple, le « plan Marshall » demeure largement un outil pour renforcer les filières existantes, quasiment sans considération pour leur impact environnemental. Un exemple flagrant est évidemment le soutien massif aux aéroports régionaux, avec notamment plus d’un milliard d’euros investis dans le développement de l’aéroport de Liège et une pression maximale exercée pour éviter toute régulation un peu sérieuse de ce qui s’y fait. La relocalisation des activités économiques n’a pas progressé (pensons au cas symbolique de la relocalisation de la production de masques annoncée pendant le Covid puis abandonnée), et le PS continue de soutenir des traités de libre échange (qui la fragilisent), ainsi qu’une logique d’exportation (comme via l’AWEX en Wallonie) dans laquelle les enjeux de profit de court-terme dominent totalement les considérations environnementales ou démocratiques. Notons encore des positions absolument inacceptables à nos yeux comme la défense de l’existence des centres fermés.

Sur les questions environnementales, le parti le plus avancé est le parti ECOLO. C’est également le parti qui porte le mieux une forme d’éthique politique avec plus de renouvellement politique (même s’il a reculé sur ce point), quasi aucune “affaire” à son compteur, et une véritable diversité de genre des élu.e.s. Sur plusieurs dossiers comme celui d’un traitement humain des travailleurs immigrés et des réfugiés, du développement aéroportuaire, du développement du transport en commun (même si à Bruxelles le développement du Métro 3 est un choix catastrophique qui grève les moyens de la STIB et l’empêche de développer et encourager les TC en surface), nos positions se rejoignent. S’il a des élus très à gauche en divers endroits (notamment à Liège ou Bruxelles), ce parti demeure cependant assez hétéroclite sur les enjeux sociaux et sur la nécessaire rupture avec le modèle capitaliste. Le concept de développement durable qui lui sert toujours de boussole idéologique nous semble démonétisé. L’exemple le plus marquant en Europe est celui des Verts allemands largement convertis au libéralisme. Au niveau belge, plusieurs positions du parti (frère) Groen nous posent également question. On a ainsi vu la Ministre Petra De Sutter, la même qui vient de décider de faire alliance localement avec la N-VA, défendre une logique libérale de pure “croissance économique” sur des enjeux de service public.

La force politique en pleine progression à gauche est le PTB. De prime abord clairement anticapitaliste, il est le parti dont nous sommes les plus proches sur le plan du programme social. À l’échelon européen, il est également le seul parti qui a porté des propositions quasi totalement en accord avec les nôtres en refusant tous les traités de libre échange et en critiquant le capitalisme vert du Green Deal. Pour autant, nous avons avec lui trois désaccords très importants. Premièrement, sa très grande frilosité sur les questions environnementales (le PTB ne dit par exemple rien sur Liège Airport) et démocratiques (le PTB s’oppose par exemple à une politique plus restrictive à l’échelon belge en terme d’exportations d’armes) alors que ce sont des enjeux majeurs de notre temps. Deuxièmement, son positionnement est “belgicain” (c’est à dire dans les faits, très « belgo-flamand ») et il accorde la primauté à la question nationale sur le droit à l’autodétermination ou même sur les enjeux sociaux (pensons par exemple à la campagne “We are One” au moment de la triste Coupe du Monde au Qatar). Ceci les amène souvent à défendre l’unité nationale sans penser aux inégalités sociales sur le territoire. Et enfin, son positionnement est souvent démagogique ce qui à nos yeux nourrit poujadisme et antipolitisme dans un contexte où il faut au contraire redonner sens à l’action politique. Non, les autres partis de gauche ne sont pas des “vendus” même si leurs positions sont parfois insuffisantes, et oui, la politique est aussi faite de compromis afin de construire des majorités progressistes.  

Enfin deux éléments nous mettent mal à l’aise avec ces trois partis. C’est d’une part la défense de la laïcité, outil d’émancipation collective, qui nous semble par moment galvaudée voire combattue, et ce au nom de motifs électoralistes. Nous sommes par exemple attachés à la neutralité des agents de l’Etat qui exercent une fonction d’autorité (enseignants, magistrats, fonctionnaires en contact avec le public) et opposés à la relativisation de la défense du bien-être animal au nom de prescrits religieux. Nous sommes par ailleurs toujours des partisans résolus d’un réseau d’enseignement unique, public et non confessionnel. Nous sommes opposés à la Monarchie et à son protocole officiel à connotation religieuse (Fête du Roi, Te deum…).

C’est d’autre part la question régionale. Ces trois partis, à des degrés divers, défendent assez largement une vision unitariste de la Belgique. À l’heure où les deux principaux partis flamands qui cumulent (dans les derniers sondages) plus 50% des voix sont résolument séparatistes, nous estimons qu’il est plus que temps pour les Bruxellois et les Wallons de réfléchir ensemble à un modèle réellement fédéral (voir confédéral) dans lequel nos Régions cesseront de se faire malmener (singulièrement Bruxelles), et se voir imposer une série de mesures réactionnaires.

Et donc quel vote le 9 juin ?

Nous souhaitons partager une analyse, et non donner une consigne de vote.  Pas de noms dès lors mais une réflexion générale sur les différents scrutins.

À l’échelon régional, le PTB a annoncé clairement qu’il ne monterait pas dans un gouvernement. Son chef de groupe au Parlement Wallon a notamment exprimé qu’il ne voulait pas d’une Wallonie trop à gauche par rapport à la Flandre ce qui risquait selon lui de braquer l’opinion publique flamande. La situation est donc claire, en Wallonie comme à Bruxelles, chaque voix pour le PTB sera une voix perdue à gauche dans l’optique de la formation d’un gouvernement sans le MR. Le PS (et notamment sur Liège le candidat VEGA sur sa liste, ou encore sur Bruxelles, l’actuelle secrétaire d’État au Logement), ainsi qu’ECOLO nous semblent donc constituer les deux seules options à gauche pour faire barrage à la droite.

À l’échelon fédéral, notre raisonnement est plus nuancé. Le PTB dont c’est le fer de lance n’a certes pas participé et ne participera pas à un gouvernement mais il a permis d‘aiguillonner les autres formations de gauche et de faire avancer certaines thématiques (défense du secteur des soins de santé, impôt sur la fortune…). Le PS (notamment une candidate issue de VEGA pour Liège) et ECOLO (notamment la tête de liste liégeoise) comptent également des figures clairement marquées à gauche.  

À l’échelon européen, que ce soit en raison du bilan de ses élus (empêtrés dans le QatarGate et le MarocGate mais ayant par ailleurs voté plusieurs traités de libre échange), ou de la tête de liste cacochyme qu’il a choisi, le PS ne nous semble pas constituer une option valable. L’élu PTB sortant qui a un bilan très valable et en phase avec le groupe “The Left” qui est notre famille politique nous semble un choix possible. Exception notable, son attitude plus que frileuse concernant les agissements de la Chine, notamment sur le dossier de la concurrence déloyale sur nos industries stratégiques (industrie lourde, production d’énergies vertes, alimentation, etc), ou sur celui des Ouïghours. À nos yeux, la démocratie et le respect des droits humains sont à défendre partout et tout le temps, pas à géométrie variable. La liste ECOLO, même si ce parti a malheureusement voté quelques traités de libre-échange et défendu une stratégie axée sur la militarisation qui nous semble dangereuse face à la menace russe, compte également en place éligible de bons candidats, et notamment l’ancien rapporteur des Nations Unis sur l’Alimentation. Notons encore la liste de nos camarades de la Gauche Anticapitaliste qui sera présente mais avec de faibles chances d’obtenir un élu. 

Pour conclure, nous pensons que le vote demeure un élément essentiel en démocratie. C’est pourquoi nous espérons que toutes et tous feront le choix d’exercer ce droit. Pour autant, il nous semble essentiel d’élargir demain nos modes de démocratie car les assemblées actuelles ne sont pas assez le reflet de la population (en termes de classes sociales, de genre, de diversité…). C’est pourquoi nous militons notamment pour la reconnaissance du vote blanc. C’est pourquoi également nous sommes favorables à la constitution d’assemblées tirées au sort et dotées de réels pouvoir de proposition et de co-décision à tous les niveaux de pouvoir (du local à l’échelle européenne). Ainsi qu’au renforcement de la démocratie sociale, par la défense et l’élargissement des droits syndicaux.

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