A la lecture des résultats de la présidentielle aux Etats-Unis, je lis de la tristesse, de l’inquiétude mais surtout beaucoup d’étonnement. Comment est-ce possible de voter pour un type pareil ? En vérité, je m’étonne que l’on s’étonne.
Tout dans nos sociétés capitalistes crépusculaires conduit à l’avènement de néo-fascistes comme Trump. Surtout quand on ne leur oppose que des partisans du libéralisme mondialisé. Et Kamala Harris en était le symbole tout comme Hillary Clinton il y a 8 ans.
Collectivement, le capitalisme nous conduit dans le mur. D’abord socialement, avec des inégalités croissantes. Ensuite démocratiquement, avec notre incapacité à imposer une activité économique qui soit en lien avec nos besoins réels (et pas inféodée à des logiques de profit). Enfin écologiquement, avec un modèle productiviste qui épuise les ressources et rendra progressivement cette planète invivable.
Mais la puissance de celles et ceux qui ont à perdre si nous devions réussir à renverser ce système est immense. Et leur énergie décuplée à mesure que l’impasse se précise.
Dès lors, tout est fait pour nous abrutir, nous inciter à ne pas regarder les causes (dérangeantes pour l’ordre établi) de ce qui nous arrive. A nier la réalité. A chercher des boucs-émissaires. A nous laisser être dominés par nos pulsions et nos peurs.
La nécessaire hégémonie culturelle pour changer la société a été théorisée par un penseur de gauche et marxiste, Gramsci. Mais elle est aujourd’hui mise en pratique par la droite réactionnaire et fascisante.
La nature des médias commerciaux (y compris les réseaux sociaux), le format des élections (largement désertées), tout conduit à ce qui se déroule implacablement sous nos yeux. Et ce ne sont pas seulement quelques grands patrons qui sont à l’œuvre ; la cohorte des complicités et des lâchetés est sans fin.
Ne regardons pas les Etats-Unis d’Amérique de trop loin. En Europe, de nombreux Etats suivent exactement le même chemin. Je ne sais pas si nous échapperons à cette issue funeste mais je sais que deux choses sont essentielles pour tenter d’éviter le pire.
Premièrement, il faut rendre enfin lisible l’hypothèse d’un autre chemin. Et ce chemin doit être radicalement anticapitaliste (c’est à dire égalitaire), radicalement démocratique (parce que la démocratie bourgeoise actuelle montre ses limites et est prise d’assaut) et radicalement anti-productiviste (parce que notre rapport à la consommation est mortifère, individuellement comme collectivement). Aujourd’hui, au grand bénéfice des réactionnaires liberticides, c’est la peur de ce qui nous arrive qui est le principal carburant de nos sociétés. Il faudrait que ce soit l’espoir d’un autre avenir possible et désirable.
Deuxièmement, il convient de se donner les moyens d’un débat rationnel. Si nous faisons des choix irrationnels, c’est parce que la société actuelle, nous déconnecte de nos cerveaux et nous asservit à nos ventres. Il faut absolument couper la prise de ce qui nous intoxique au quotidien, les médias poubelles, les algorithmes des réseaux sociaux, les écrans (surconsommés) qui hypnotisent. Nous devons toutes et tous retrouver la capacité de regarder le monde tel qu’il est, de nous reconnecter avec notre réalité, avec nos réels besoins, comme individus mais aussi comme espèce. Qui peut croire qu’il est sans conséquence de moins lire, de regarder le monde au travers d’un écran de GSM, de l’analyser à travers des messages de 280 caractères ou des vidéos de 90 secondes ? L’émancipation et le changement ne seront possibles qu’en trouvant les moyens de se protéger fermement de cette fange et en prenant conscience de l’importance cruciale d’une éducation de qualité. Au coeur d’une nouvelle éducation de qualité, le renforcement de l’apprentissage de la méthode critique et des bases des philosophies humaines dans leurs contradictions comme leur cohérence seront deux enjeux majeurs car nous vivons une séquence d’évolution du capitalisme où les leaders d’opinion n’allument, au sein des peuples, que des désirs sectoriels et corporatistes.
Ne soyons ni du camp de ceux qui s’illusionnent sur la capacité à réformer le modèle actuel, ni de celui de ceux qui se résignent.
Une opinion de Pierre EYBEN