Alors que notre Région a longtemps semblé préservée, l’année 2024 aura été marquée par un virage à droite très important du vote en Wallonie. Les scrutins communaux et provinciaux d’octobre ont confirmé (et même amplifié) ce virage initié en juin. Nous proposons ici une analyse des résultats du 13 octobre.
(A suivre, l’analyse pour Bruxelles)
Les gagnants et les perdants
Il n’est pas toujours simple d’analyser le résultat des différents partis lors des élections communales car de nombreuses listes d’union et de cartel existent à cet échelon. Ce n’est pas le cas au niveau provincial et les comparaisons entre scrutins sont dès lors plus simples. Dans le graphique ci-dessous, nous avons compilé les scores aux différents scrutins (provinciaux et régionaux) depuis octobre 2018, et ce à l’échelle de la Wallonie. On peut y remarquer que le score de juin 2024 a été largement reproduit lors du scrutin d’octobre.
Il y a toutefois une exception majeure concernant Les Engagés (LE) qui voient leur progression être encore amplifiée (+3,3%) par rapport à juin, au point que cette formation est désormais passée au deuxième rang des partis wallons, passant (de peu) devant les socialistes. Autant le succès électoral du MR répond à une stratégie assez lisible de la droite européenne qui consiste à chasser sur les terres de l’extrême-droite (en Wallonie, le MR a ainsi pu capter les voix issues des formations comme les Listes Destexhe ou le Parti Populaire) en capitalisant sur ses thèmes et sur une rhétorique extrêmement agressive et populiste. Autant celui du parti Les Engagés est plus difficile à comprendre. De prime abord, l’évolution entre CDH et LE ressemble à une opération de communication assez grossière pour se donner à peu de frais une image nouvelle. A y regarder de plus près, il faut toutefois noter quelques évolutions qui sont plus que cosmétiques. D’abord, il y a un positionnement plus à droite et moins “catholique” afin de séduire l’électorat traditionnel du MR peu enclin à suivre les outrances de son président. Deuxièmement, il y a le recrutement de nombreuses figures issues de la société civile pour renouveler un personnel politique vieillissant. Et enfin, il y a un positionnement assez opportuniste sur la question environnementale consistant à la fois à reconnaître cet enjeu mais à prétendre qu’il peut être rencontré sans modifier nos habitudes de consommation et nos modes de vie. Au regard des transferts de voix massifs depuis ECOLO, ce positionnement contre une écologie qualifiée de “punitive” a été payant. Ce succès est-il durable ? Il existe au moins deux écueils. Le premier est que tout ceci donne une formation absolument bigarrée et sans réelle colonne vertébrale idéologique. Le second est que la politique libérale somme toute classique qui va en découler ne va aucunement résoudre les problèmes ni améliorer la vie des Wallonnes et des Wallons.
En ce qui concerne les autres formations, le parti ECOLO connaît un léger rebond (+1,8%) par rapport à juin mais son score demeure catastrophiquement bas. Ecolo qui a un positionnement (et des personnalités) plus marqués à gauche ces dernières années a perdu son électorat plus centriste mais il n’a pas réussi à convaincre les électeurs de gauche. C’est la faute notamment à une volonté de ne pas trancher ouvertement cette question du positionnement politique, ensuite à des participations gouvernementales marquées par de nombreux renoncements (notamment sur la question migratoire au niveau fédéral, ou sur celle du développement aéroportuaire au niveau wallon). À l’exception de Liège avec Vert Ardent, ECOLO connaît des reculs assez historiques dans les villes wallonnes (en particulier à Charleroi où il n’a plus aucun élu, et à Mons où il a gouverné avec le PS).
La baisse du PTB constatée en juin est légèrement amplifiée (mais il ne déposait pas de liste en Province du Luxembourg). Le PTB progresse à Bruxelles et en Flandre où il était plus faible mais il semble avoir atteint un pic au niveau wallon. Le refus de prendre ses responsabilités en 2018 et 2019 semble avoir laissé des traces, et on note d’ailleurs un net assouplissement de sa part avec la volonté d’entrer en majorité.
Concernant le PS, la lente érosion se poursuit. L’électorat socialiste est bien plus stable que celui d’ECOLO mais il connaît une érosion qui semble assez inéluctable au fil des années. Le parti qui pesait encore 37% en 2004 et 31% en 2014 est désormais à moins de 24%. Sa transformation “écosocialiste” incarnée par Paul Magnette n’est à la fois pas très populaire auprès d’une partie de son électorat, et par ailleurs pas réellement constatée sur le terrain.
Une abstention qui gagne du terrain
Les partis se répartissent pourcentages (et sièges) sur base des bulletins valables déposés. Il est éclairant d’analyser l’évolution de l’abstention ainsi que son poids. Dans le tableau ci-dessous, nous avons étudié cette évolution depuis 2006. Elle est absolument majeure.
En Wallonie, sur 2.6 millions d’électeurs inscrits, il y en a aujourd’hui près de 600.000 qui font le choix de ne pas voter, la très large majorité ne se déplacant même pas pour exprimer un vote blanc ou nul. Sans le vote obligatoire, comme cela a été observé en Flandre, ce chiffre serait encore plus fort. L’abstention est particulièrement élevée dans les deux provinces les plus populaires que sont Liège et le Hainaut où elle est désormais la principale “force politique”. Ci-dessous un graphique concernant par exemple le cas de la Ville de Liège ainsi qu’une répartition (factice) des sièges sur base de la règle Imperiali. Si ces votes devaient être pris en compte (ce qui n’est pas le cas), il faudrait quasi impérativement que tous les autres partis s’allient pour obtenir une majorité et gérer la ville. On comprend à quel point cela serait une situation de complet blocage démocratique. Or c’est bien cette proportion des personnes disposant du droit de vote (en réalité l’obligation de vote) qui n’est aujourd’hui pas représentée.
Cette désertion de la politique, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, doit interpeller tous les élus mais particulièrement la Gauche qui a obtenu le droit de vote universel. Ceci est d’autant plus interpellant que ce sont principalement les classes populaires qui désertent. Pour notre part, nous estimons que plusieurs facteurs sont à souligner. Premièrement le fait que l’on continue de connaître un grand nombre “d’affaires” qui ternissent l’image des élus. Deuxièmement, le fait que la politique est conçue pour la grande majorité des élus comme une activité professionnelle et pas comme un temps (limité) consacré à la collectivité, ce qui conduit trop souvent à la création de baronnies politiques. Troisièmement, le fait que les élus semblent impuissants à proposer une politique de projet, en rupture avec le modèle libéral et consumériste dominant. Que ce soit sur le plan social (en se battant plus clairement contre le carcan budgétaire communal), environnemental (en optant clairement pour les modes actifs, en luttant clairement contre l’étalement urbain…) ou démocratique (en proposant des processus participatifs innovants et dotés de réels moyens), on voit bien que peu est fait à l’échelon communal pour changer la donne et redonner goût à l’action politique.
L’après-scrutin
Les coalitions qui se forment au lendemain du scrutin disent également beaucoup de l’impasse démocratique actuelle. En effet, à part quelques exceptions à Bruxelles et une seule en Wallonie (à Mons), on ne retrouve quasi aucune majorité unissant les 3 formations de gauche alors qu’elles disposent (encore) d’une majorité dans de nombreuses communes et en particulier dans toutes les grandes villes (62% à Liège, 66% à Charleroi, 55% à Tournai, 59% à La Louvière,…). Au contraire, la grande majorité des coalitions unissent gauche (PS ou ECOLO) et droite (MR ou LE) avec notamment de très nombreuses bipartites PS-MR mais également une très symbolique ECOLO-MR à Tournai avec à sa tête Marie-Christine Marghem. Alors que les programmes démontrent de bien plus grandes convergences entre partis de gauche, ceci ne peut que donner une image très négative avec des majorités d’opportunisme et pas de projet.