Le 7 Août 2022 restera dans la mémoire des colombiens et des observateurs étrangers comme une date historique, car pour la première fois de l’histoire de ce pays, la Colombie se dotera d’un gouvernement progressiste, avec l’investiture du nouveau Président Gustavo Petro, et de la Vice Présidente Francia Marquez, ce qui provoque une énorme explosion de joie et va permettre au peuple colombien de montrer tout son potentiel et toute sa créativité en lançant le projet de faire de ce pays une puissance de paix, en interne comme vers l’extérieur.

Le nouveau président Gustavo Petro fut d’abord leader étudiant, puis membre du groupe de guérilla M-19, mais s’engagea ensuite dans le processus de paix de ce groupe, jusqu’à devenir maire de Bogota puis brillant sénateur. Francia Marquez est une femme noire qui a participé aux luttes d’émancipation des femmes, mais aussi aux luttes de sa communauté contre les projets miniers qui détruisent son territoire.

Par son vote, le peuple colombien n’a pas seulement permis l’avènement d’un gouvernement progressiste, qui a un programme de pointe sur les questions de l’environnement, de la paix, des droits humains, et des droits sociaux, en particulier le droit à la santé, et à l’éducation. Le peuple colombien a aussi abattu par les urnes un régime d’extrême droite extrêmement violent et corrompu. La Commission de la vérité qui vient de remettre son rapport suite aux accords de paix confirme que plus de 125.000 personnes ont été victimes de disparitions forcées en Colombie, c’est à dire bien plus que dans tout les cône Sud durant la période des dictatures militaires.  Plus de 6400 civils ont été assassinés par l’armée nationale les présentant comme « guérilleros morts en combat » afin de permettre aux militaires d’avoir accès à divers avantages (congés, promotions, …)

Rien qu’au cours de la période du gouvernement sortant, plus de 900 dirigeants sociaux (syndicalistes, écologistes, etc…) ont été assassinés. Mais en outre ce sont des militaires colombiens réservistes et en activité qui ont assassiné le président de Haiti en 2021, sans doute parce qu’il commençait à faire des révélations concernant un cartel de drogue. Le gouvernement colombien a activement assumé leur défense.

Comment le peuple colombien est-il parvenu à se libérer par les urnes d’un tel régime narco-militaire et narco-paramilitaire alors qu’il n’était pas parvenu à le faire après 60 ans de lutte armée menée par la guérilla ?

C’est paradoxalement le fait que la guérilla de la FARC se soit engagée dans un processus de négociations qui a culminé par la signature des accords de paix en 2016 qui a commencé à changer le panorama politique.  Le discours selon lequel toute personne qui protestait était un allié de la guérilla a perdu de sa crédibilité, et les colombiens ont voulu la paix, alors que le gouvernement du président Duque a tenté de la saboter, tout en n’allant pas trop loin pour ne pas se mettre la communauté internationale à dos.

Un second facteur est la véritable révolte des jeunes face à un gouvernement extrêmement et grossièrement élitiste, faisant des cadeaux à qui veux-tu en voilà aux ultra-riches.  Cette révolte a commencé avant la pandémie, puis fut arrêtée par celle-ci. Après la pandémie au cours de laquelle le peuple colombien a expérimenté l’exclusion et la faim à grande échelle, la révolte a repris en Avril 2021, les jeunes étant rejoints par les syndicats, le mouvement indien et paysan. Le régime a réprimé cette révolte dans le sang, ce dont les Colombiens se sont vraisemblablement souvenu au moment de voter semble-t-il.

La carte du vote montre que c’est dans les grandes villes de Bogota et Cali, où le mouvement de révolte de 2021 a été le plus fort, que l’alliance de gauche « Pacto Historico » a reçu le plus d’appui. Le reste du centre de la Colombie, celle qui voit le conflit interne via la télévision, a plutôt voté pour le candidat de la droite populiste.  Tandis que les régions plus éloignées, où les habitants connaissent le conflit de près, et le traitement que leur réserve l’Etat colombien, ont voté massivement en faveur de l’alternative que représente le Pacte Historique mené par Gustavo Petro et Francia Marquez.

La poussée du vote populaire a été si forte que la droite a dû reconnaître sa défaite. Officiellement le régime a reconnu une différence de 3 pour cent entre les candidats, mais tous les observateurs estiment que la différence réelle doit se situer autour de 8 à 10 % compte tenu des divers mécanismes de fraude existant.

Le mouvement Demain a bien compris l’enjeu de ces élections et a été actif durant tout ce processus, puisqu’engagé depuis plus de 30 dans la défense des droits humains dans ce pays, j’ai pu participé au nom du mouvement éco-socialiste belge comme observateur électoral aux législatives, aux deux tours des élections présidentielles, et ensuite comme invité à l’investiture du nouveau Président, au sein de la délégation du Parti de la Gauche européenne.

Sur le plan international, ces élections sont une énorme onde de choc. Les Etats-Unis perdent un régime qui était leur meilleur allié économique et militaire dans la région, puisqu’ils sont présents avec plus de 7 bases militaires et que la Colombie s’est récemment associée à l’OTAN.  L’Union européenne a privilégié pendant 30 ans les relations économiques en gardant le silence sur les violations des droits humains en échange d’avantages pour ses entreprises multinationales. Cela s’est traduit notamment par la signature en 2012 d’un accord de libre échange avec un régime criminel. Un accord de libre-échange que du reste le Parlement de la région bruxelloise est le seul de toute l’Union européenne à continuer à refuser de ratifier, -c’est tout à son honneur-, à cause des violations des droits humains et des conséquences de l’accord pour le développement soutenable. Le nouveau gouvernement colombien rejoint les divers gouvernements progressistes d’Amérique latine (Mexique, Argentine, Cuba, Venezuela, Pérou, Chili,…).  On peut rêver que l’Union européenne y voie une opportunité unique de s’émanciper enfin des politiques des Etats-Unis et de voir dans ces pays d’excellents partenaires avec qui construire des échanges riches et prospères, et avec qui lutter ensemble contre le changement climatique, au lieu de les considérer comme ça a été le cas jusqu’aujourd’hui, comme de simples réserves de matières premières et de produits énergétiques.

Par Paul-Emile Dupret

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