Une opinion de Jacques Weber

Le Projet Individuel d’Intégration Sociale (PIIS) est devenu contrat obligatoire pour tout bénéficiaire du revenu d’insertion (RIS) et reprend ses engagements et devoirs « aimablement suggérés et supposés adaptés » à fin d’insertion professionnelle et/ou d’intégration sociale, dont une dose (devenue norme) de formations au « savoir-être » telles que groupe de parole, d’écriture, atelier Zen, relaxation, …, déco, couture, relooking, …, jardinage, conserverie, cuisine, … très souvent réalisées par des coach « partenaires » du CPAS.

Il est vrai qu’il est devenu pour le moins difficile de se faire un repas pour quelques euros, d’autant avec des produits frais et/ou une viande, des produits de qualité voire bios, ou des produits n’ayant pas été produits par « des esclaves à l’autre bout du monde », ou ayant gardé comme un arrière-goût de kérosène.

Il est également vrai qu’il est devenu difficile de varier les menus en restant dans la gamme des produits « à prix abordables », et d’autant plus vrai pour une personne isolée vu les volumes ou poids d’unités, et les conditionnements de vente.

Et pour les personnes à faibles revenus, passé les coûts du logement, des frais de santé, de déplacements, de scolarité d’enfants, …, les difficultés ne se limitent pas aux achats des seuls produits alimentaires mais également à toutes les fournitures de la vie courante souvent vendues à prix déconnectés de toute réalité de production et distribution.

De plus en plus de CPAS passent un accord avec la chaine de magasin Colruyt. Selon « explications » et communications émanant de CPAS, ce partenariat donnerait à leur bénéficiaires la possibilité de « manger pour un, deux voire trois euros par repas ». (Sic)

Les bénéficiaires « recevraient une carte », mais aucune information complémentaire n’en est donnée. S’agirait-il de la simple carte « Xtra » accessible à tout client ? Mystère.

Colruyt éditerait par quinzaine un livret de recettes et conseils de préparation. Serait-il rédigé par des commerciaux au gré des achats et promotions de Colruyt ou par quelques nutritionnistes patentés, ou … ? Le mystère s’élargit.

Il est de notoriété que Colruyt travaille avec des marges bénéficiaires lui permettant de pratiquer des réductions, telles qu’aux professionnels. Soucieux des personnes défavorisées, Colruyt pourrait leur octroyer des réductions, voire même travailler à prix coûtants. Aucune information dans ce sens, le mystère s’étoffe encore.

Enfin, probablement soucieux que ses nouveaux clients puissent sortir du monde de la débrouille et de son tam-tam de bonnes adresses, trucs, astuces et ingéniosité, pour s’intégrer dans celui des gens « normaux », supposés plus aptes, instruits et équilibrés, Colruyt leur proposerait des visites de magasins pour « apprendre à décoder les étiquettes et repérer les bonnes affaires ». (Sic) Aucune information n’est donnée quant à savoir si d’aucuns leur tiendront la main pour leur montrer le chemin de leur nouveau magasin « agréé CPAS». Le mystère devient total mais le non-dit devient limpide.

Colruyt pourrait, peut-être, à l’occasion, incidemment, éventuellement, par hasard, comprendre que « pauvre ne veut pas dire con », et que depuis déjà trop longtemps le problème est et reste que les allocations versées par les CPAS (à l’instar de tous les minimas sociaux) sont maintenus sous le seuil de la pauvreté.

Colruyt pourrait aussi imaginer, si c’était un effet de sa bonté ou d’un zeste de bon sens, même de façon hypothétique, que les pauvres ne l’ont pas attendu pour se débrouiller tant bien que mal. Qu’ils ont leurs carnets d’adresses si même Colruyt n’y figure pas ou peu et n’ont pas besoin que quiconque leur dise ou explique ce qu’ils doivent ou ont envie de manger. Que ceux qui le désirent possèdent déjà une carte Xtra. Qu’ils sont probablement mieux que d’autres capables de lire des étiquettes, voire retenir ou noter les prix respectifs des produits dans les différentes chaines de magasins, ou mieux encore de repérer les différences de prix entre magasins de la chaine Colruyt. Et qu’au besoin, même sans GPS ou « main charitable », ils seront capables d’en trouver le chemin.

Colruyt pourrait encore, ici par une intersession probablement divine, considérer ou reconsidérer l’opportunité de participer à la mise en œuvre d’un contrôle social de la pauvreté, qui non content de mener ses victimes vers des statuts de travailleurs mais précaires et toujours pauvres, leurs prodigue myriade de formations pour leur apprendre d’une part à ne pas faire tâche dans la société et d’autre part à être heureux malgré eux, leur sort et leurs droits bafoués alors qu’élémentaires et pourtant inscrits dans la Constitution.

Enfin, à titre totalement subsidiaire, Colruyt pourrait s’interroger sur le fait que son approche du phénomène de la pauvreté soit de nature à déplaire à sa clientèle qui pourrait savoir qu’en penser et agir en conséquence.

Les pauvres ont besoin de revenus leur permettant de vivre dignement. Ils n’ont pas besoin qu’on leur apprenne à vivre avec moins que nécessaire et à quoi ils ont pourtant droits. Ils ont encore moins besoin de devenir objets de stratégie de marketing.

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