Bien des choses se sont passées depuis notre retour de la Syrie du Nord-Est.
Nous restons en contact avec des personnes rencontrées sur place, et les nouvelles qui nous parviennent constituent un étrange mélange. On reste toujours partagé entre l’horreur et l’enthousiasme, tant la capacité des populations du Rojava et des cantons majoritairement arabophones à continuer à construire, à s’organiser et à agir sous tension est sans commune mesure.

Car, comme nous le redoutions, depuis la réélection d’Erdogan, les attaques par drones ont redoublé, et c’est 46 morts qu’il faut déplorer depuis le début de 2023, dont la co-responsable du Canton de Qamishlo, Yusra Derwich. D’autre part, à Hasaké, l’Euphrate est à sec, suite à la combinaison des retenues d’eau via les barrages en amont et de très fortes chaleurs (50° à l’heure où j’écris). Ceci met en danger les habitants de cette ville, plus d’un million , mais aussi ceux de l’agglomération et des camps de déplacés internes – venus d’Afrin et de Serêkanyê, notamment. L’an dernier déjà, la région avait été touchée par une épidémie de choléra consécutive à la pénurie d’eau. Hasaké où, pour ajouter du grave au dramatique, sont emprisonnés des combattants de l’Etat Islamique qu’il faudra bien un jour juger…

Et, malgré tout cela, en dépit de tout cela, les projets se multiplient et se mettent en place. Que ce soit la création du premier club de foot féminin à Raqqa, l’organisation, dans la même ville, d’un forum des organisations de femmes ou de la plantation des prémices de la forêt urbaine sur l’ancienne décharge publique de Qamishlo. La lente et patiente reconstruction continue.

L’aide aux cantons en difficulté s’organise également. Des camions citernes remplis d’eau potable font régulièrement la route entre Qamishlo et Hasaké. Cependant, il faut retenir que l’accès à l’eau reste difficile dans cette région, alors qu’elle est censée être naturellement irriguée par deux fleuves. Chaque jour, elle est extraite dans les 51 puits creusés autour de la ville, purifiée tant bien que mal à l’aide de chlore et est normalement destinée à être expédiée dans les citernes des immeubles. A Qamishlo aussi, de ce côté, tout n’est pas rose. Mais la population, à travers les délégués des communes, accepte cet inconfort pour venir en aide aux agglomérations les plus touchées.

Enfin, des demandes sont faites vers l’international. C’est là que nous, toutes et tous, pouvons intervenir. J’en reviens à ces djihadistes détenus à Hasaké. L’Administration Autonome souhaitait que ceux-ci soient jugés par la Cour Pénale Internationale. La Fédération n’étant pas un Etat reconnu, c’est impossible. Qui plus est, tout recours à une agence ou une autorité relevant des Nations Unies serait bloqué par le veto turc. Les responsables du Nord-Est syrien ont alors tenté de passer des accords bilatéraux avec les pays dont sont issus les combattants d’ISIS. Pas de réponse satisfaisante. Un tribunal spécial doit donc être créé. Et la demande de l’Administration Autonome, à défaut d’une juridiction internationale, est que des observateurs soient envoyés afin de témoigner du respect des procédures. Le procès serait par ailleurs diffusé en streaming, pour que tout un chacun puisse y assister. Il serait, je le crois, indécent de leur reprocher d’agir de la sorte. Non seulement parce que les faits doivent être jugés là où ils ont été commis, mais aussi parce que la main a été plus d’une fois tendue vers une communauté internationale qui s’enferme dans le silence et l’indifférence.

D’autre part, ceci pose aussi la question du devenir de ces djihadistes une fois leur peine accomplie – le Contrat Social de la Fédération du Nord-Est Syrien ayant aboli la peine de mort. Allons-nous encore une fois leur abandonner la gestion du problème, tout en les gardant isolés, État sans statut dont on préfère oublier l’existence et avec elle, celle des terroristes dont ils sont parvenus à juguler l’élan?

Quelle est notre capacité d’action face à cette situation, ici, d’où nous sommes? Elle est multiple et commence par l’interpellation de nos élus, principalement aux niveaux fédéral et européen. Chacune, chacun d’entre nous en a la possibilité. La Syrie du Nord-Est doit enfin obtenir la reconnaissance internationale, pouvoir construire son propre modèle de société sans craindre à tout moment de nouvelles attaques de la part de l’Etat turc, que ce soient les bombardement ciblés ou cette guerre d’usure à travers l’accès à des besoins vitaux et ce en violation de traités internationaux déjà existants.

Enfin, nous pouvons, dans un futur proche, les aider à pallier les manques dûs à l’incapacité des agences onusiennes et de nombreuses ONG à leur venir en aide en soutenant des initiatives d’aide directe, via notamment les réseaux de solidarité déjà existants ou se mettant en place. Financer l’installation de pompes à eau, la construction de maisons des femmes ou le projet de reforestation des Tresses Vertes, au sujet desquels nous reviendrons dans une de nos prochaines newsletter.

Virginie Godet

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