Trop, c’est trop ! Deux syndicats de l’enseignement libre, le SEL (FGTB) et l’APPEL (CGSLB) ont quitté les comités de concertation du « Pacte pour un Enseignement d’Excellence » ce jeudi 9 février. Sujet de la discorde : le projet de réforme portant sur l’évaluation des enseignant·es qui a démarré son parcours législatif au parlement de la Communauté Française.

Aux manœuvres : la Ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS) et ses alliés, le Ministre- Président Pierre-Yves Jeholet (MR), la Ministre de l’Enseignement Supérieur Valérie Glatigny (MR), la Vice-Présidente et Ministre de l’Enfance Bénédicte Linard (ECOLO) et le Ministre du Budget et de la Fonction Publique Frédéric Daerden (PS). Ensemble, ces cinq ministres ont décidé de passer en force avec la réforme de « l’évaluation-sanction » contre l’avis des syndicats des enseignants.

Pour rappel, cette réforme vise deux objectifs : accompagner les enseignants qui trouveraient des difficultés à exercer leur métier, et les sanctionner en cas de refus de coopérer avec leur direction. Si l’accompagnement et l’aide pédagogique est une réforme longuement réclamée par les syndicats d’enseignant·es, c’est bien le deuxième volet de la réforme qui crispe. Pour les syndicats SEL et APPEL, évaluer les enseignant·es sur base de critères de performance et les sanctionner « s’ils refusent de prendre la main qu’on leur tend », comme le dit si bien Caroline Désir (interview dans le journal Le Soir du 7 février), va à l’encontre même de la philosophie du Pacte d’Excellence. Le SEL et APPEL pointent les premières dérives des réformes précédentes de ce Pacte : les Plans de pilotage établis dans les écoles ont transformé les dispositifs d’amélioration pédagogique en « dispositifs de gestion axée sur les résultats », l’autonomie des établissements scolaires a été remplacée par « l’augmentation du pouvoir des Pouvoirs Organisateurs » et le travail collaboratif est devenu un « travail dirigé par la direction » des écoles (source : communiqué de presse « Et Pa(c)tatra » du 09/02/23).

C’est bien la raison pour laquelle ces syndicats rejettent fermement la réforme portant sur l’évaluation des enseignant·es : elle va apporter aux directions des écoles « le bâton qui leur permettra d’imposer leur point de vue aux équipes pédagogiques ». Si cette réforme était votée, ce serait un tournant à 180° pour le Pacte. Car les sanctions à l’emploi existent déjà.
Alors pourquoi en rajouter ? Pourquoi menacer les enseignant·es de leur faire perdre leur nomination, voire d’être radié·es de la profession s’ils n’exécutent pas les consignes de performance de leur direction ?

Analysons cela d’un point de vue politique. 2022 aura été une année mouvementée pour les enseignant·es : 6 arrêts de travail, 5 grèves et 5 manifestations. Plus de 15 000 travailleur·euses de l’enseignement ont milité dans les rues de Bruxelles, Liège, Mons et Namur pour dire « non » à cette réforme et aux dérives managériales que le Pacte est en train de prendre. Non contente d’avoir seulement repoussé d’un an l’introduction de ce projet de loi au Parlement, Caroline Désir n’a pas avancé sur les autres réformes du Pacte que les enseignant·es réclament depuis des années : rien n’a encore été fait concernant la taille des classes, rien concernant l’amélioration des conditions de travail, rien non plus au sujet de la reconnaissance du métier d’enseignant, toujours rien concernant le remboursement des frais de déplacements, etc. C’est que ces groupes de travail prennent du temps. En revanche, sanctionner les enseignant·es semble être une priorité pour la Ministre de l’Éducation. Quand on se souvient qu’elle a été encore plus rapide pour faire voter la réforme de l’enseignement qualifiant (PEQ)—profitant au passage pour supprimer le budget alloué à la remédiation des élèves en difficulté—quand on sait que le budget débloqué pour rénover les bâtiments (1 milliard d’euros sur 10 ans) ne permet pas de remplir les besoins colossaux en terme de rénovation, que certaines écoles n’ont plus de chauffage, que les quartiers populaires souffrent davantage du manque d’investissement (car les parents n’ont pas les moyens d’aider les écoles),… on comprend pourquoi il faut à tout prix faciliter les destitutions de nomination des enseignant·es, qui coutent trop cher. On finirait par croire que l’éducation de nos enfants coute trop cher !

Quoi qu’il en soit, ces cinq ministres issus du PS, d’ECOLO et du MR se fourvoient à faire glisser l’enseignement vers un système de management libéral qui est incompatible avec la raison même de l’existence de l’école publique : le but de l’école n’est pas de produire du profit, mais de permettre aux enfants de se construire en tant que citoyens et d’acquérir des savoirs et des qualifications qui leur permettront de trouver une place dans notre société, et de l’améliorer.

Face au changement climatique, c’est la nouvelle génération qui devra trouver les réponses pour mener notre société à faire face aux défis civilisationnels qui vont mettre notre société démocratique à rude épreuve. Diminuer les ressources de l’enseignement est non seulement une mauvaise nouvelle pour les citoyens de demain, mais va surtout à l’encontre d’une société juste et égalitaire.

Quoi qu’il en soit, 2024 sera une année charnière pour la Belgique et la Wallonie, car nous renouvellerons tous les mandats politiques de tous les niveaux de pouvoir. Ce que les syndicats se sont empressés de rappeler à Paul Magnette, Président du PS, lors d’une rencontre la semaine dernière. Oui, les profs ont une excellente mémoire : aux élections de 2024, ils se souviendront des noms des responsables de l’effondrement du système scolaire !

par Luca D’Agostino

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