Une opinion de Pierre et Eyben et Natalia Claasen

La sortie dans la presse de Paul Magnette concernant l’e-commerce est une excellente chose quand ECOLO et PTB restent silencieux sur le sujet. Elle est le signal que les lignes commencent à bouger. Pour autant, la réticence est forte, en témoignent les réactions qu’elle suscite, de la part de la droite et des organisations patronales. Mais ils ne sont pas les seuls. Le gouvernement présidé par le socialiste Elio Di Rupo soutient également clairement l’e-commerce. Il favorise par exemple la venue du géant de l’e-commerce Alibaba à Liège. Il vient également de décider d’allouer un chèque pour aider les PME wallonnes à se convertir au numérique et à amplifier leurs activités en ligne. Cela aussi c’est de l’e-commerce.

À nos yeux, cette sortie du président socialiste aura du sens si, au-delà de la petite phrase pour se positionner face au MR, elle permet dans les prochains mois de poser correctement le débat, et si elle marque un tournant dans la politique ultra favorable aux géants du secteur (Alibaba, Google…) prônée avec constance par son parti.

L’e-commerce est-il synonyme de régression sociale ?

La sortie de Paul Magnette est notamment motivée par des négociations sur le travail de nuit actuellement en cours au niveau fédéral. En effet, tout comme cela fut fait pour d’autres secteurs (pensons aux chaînes de montage automobiles), il y a aujourd’hui une pression du banc patronal afin de faire baisser le “coût” du travail de nuit dont l’e-commerce est grand consommateur. Paul Magnette oublie juste opportunément de signaler que le PS a validé récemment une mesure similaire pour le travail jusqu’à minuit (pudiquement qualifié de travail de soirée) au profit notamment du même secteur. La question de la pénibilité de certains horaires ne se limitant pas aux grandes plateformes d’e-commerce, il oublie aussi l’Arrêté ministériel du 23 mars 2020 qui rend possible les horaires d’ouverture des magasins d’alimentation jusqu’à 22h00. De manière générale, c’est donc le moment de se demander quels types d’emplois génère l’e-commerce. Quel pourcentage d’emplois retrouve-t-on dans la manutention et la livraison express ? Quel pourcentage de travail de nuit et de soirée cela concerne ? Quel impact ce type de travail a-t-il sur la santé des travailleurs ? De savoir quel pourcentage de ces emplois vont disparaître avec la robotisation ?

L’e-commerce tue-t-il l’économie locale et les petits commerces ?

Selon le dernier baromètre entreprises de l’Agence du Numérique qui date de 2020, 53% des entreprises wallonnes du commerce de détail disposaient d’un site web et 22% vendaient en ligne. L’e-commerce, ce ne sont dès lors pas que des multinationales. Lorsque nous achetons une place de théâtre en ligne ou un billet de train via notre smartphone, c’est également de l’e-commerce. Toutefois, la concentration du secteur est bien réelle. Aujourd’hui, 80% du commerce électronique est aux mains des grandes enseignes bien connues (Amazon, Bol, Zalando,etc.) qui sont toutes installées à l’étranger et sont souvent très peu disposées à payer leurs impôts avec zèle. En France, une étude de 2019 a montré que pour 1 emploi créé chez Amazon France Logistique, 2,2 étaient perdus dans les commerces de proximité. Qu’en est-il chez nous ? Est-il par exemple possible d’estimer le nombre d’emplois locaux mis en péril lorsqu’est facilitée l’arrivée par avion de produits étrangers acheminés à Liège Airport ? Un e-commerce de proximité (majoritaire) est-il envisageable ? Est-il souhaitable ?

Quel est l’impact écologique de l’e-commerce ?

Que ce soit en facilitant l’importation de produits fabriqués en Asie (et notamment par avion pour permettre des livraisons plus rapides), ou en développant la livraison à domicile de petits colis (suremballés) via des camionnettes, l’e-commerce a un impact sur l’empreinte carbone des objets que nous achetons. Mais est-ce l’e-commerce ou plus généralement sont-ce les pratiques des grands acteurs (y compris les classiques de la grande distribution) qui favorisent ces pratiques écologiquement néfastes (en délocalisant la production pour baisser les coûts et augmenter les marges, puis la transporter sur de longues distances) ? Et plus généralement, ne sont-ce pas bel et bien les deux qui favorisent la tendance à la surconsommation à l’heure où les ressources planétaires sont de plus en plus limitées ?

Peut-on lutter contre l’e-commerce sans repenser notre façon d’habiter le territoire ?

Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, propose de redonner la priorité à un commerce de proximité. Très bien. Mais ce modèle est-il transposable partout, et notamment dans les campagnes et banlieues ? L’e-commerce est-il ce qui détruit le commerce de proximité ou est-ce la disparition d’un tissu local (singulièrement hors des villes) qui lui a permis de prospérer ? Le retour d’un commerce de proximité ne doit-il pas également s’appuyer sur une autre façon d’urbaniser notre région, et en particulier sur une véritable politique des villes mettant fin à l’actuel étalement urbain ?

En conclusion

Fruit de la mondialisation économique et des logiques de libre échange, porté par la révolution informatique, boosté par la pandémie, l’e-commerce a un impact majeur sur notre économie, et partant sur notre vie. Il est aujourd’hui très majoritairement trusté par des multinationales qui portent un projet de société écologiquement et socialement régressif. Il est donc essentiel de questionner la nature et les impacts de cette évolution. Mais pour le faire sérieusement, nous avons aujourd’hui cruellement besoin de mieux connaître les conséquences de cet avènement. C’est le sens même d’un projet écosocialiste, doctrine que Paul Magnette entend faire sienne, que de refuser que la loi du marché s’impose, et d’inscrire nos choix économiques (favoriser l’e-commerce ou les commerces de proximité en est un) dans un projet de société soutenable écologiquement et désirable socialement. Demandons à l’IWEPS et/ou au Bureau du Plan de produire un grand rapport qui réponde aux questions soulevées ici. Organisons dans les divers Parlements, en les ouvrant aux citoyens, un véritable débat sur ce sujet de société.

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