Le jour d’après

Vendredi 16 juillet, 6h du matin, Liège Centre.

Réveil en sursaut après une courte nuit. Un regard par la fenêtre. 

Soulagement. Pas d’eau dans la rue. 

Vite se connecter aux différents canaux d’informations.

Horreur et angoisse face aux images de dévastation, face au décompte des premiers morts. D’autres viendront. Beaucoup d’autres.

Sentiment de honte d’avoir ressenti du soulagement quand d’autres subissent en pleine figure les conséquences de cette catastrophe.

L’angoisse ressentie la veille au soir en surveillant la montée des eaux de la Meuse remonte à la surface. Il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’une grande partie de la ville subisse le même sort que tant d’autres villes, communes et localités en Wallonie et ailleurs.

Se rendre sur place, à Angleur et Chênée. Pas par curiosité morbide. Mais pour comprendre. Pour mettre des mots, et donc des pensées, sur des images. Pour réconforter et parler aussi. Avec des amis, connaissances ou des inconnus.

Entrer dans une “zone de guerre”, lire la détresse sur le visage des sinistrés. 

Des gens ont tout perdu. Au sens propre. Des maisons ont littéralement disparu du paysage.

L’entraide. Énorme, réconfortante, qui donne foi en l’être humain. Chacun fait ce qu’il peut, offre les services qu’il est capable de rendre. 

Ici offrir un café, là des vêtements secs. 

Ici aider à déblayer, là offrir son logement salubre pour accueillir.

Et réconforter, surtout réconforter. 

Chacune de ces actions, grande ou petite, est précieuse. 

La colère aussi. Colère sourde, qui envahit petite à petit tout votre être, en repensant à l’inaction des pouvoirs publics alors que cela fait 30 ans, TRENTE ans, que le GIEC nous avertit, des années que des mouvements écologistes, citoyens, politiques et bien d’autres tirent la sonnette d’alarme, réfléchissent aux conséquences des nos actes et proposent des solutions. Des années qu’ils, que nous ne sommes pas ou si peu entendus.

Et les climato-sceptiques de remonter sur le pont. Toute honte bue. 

Alors que faire? Comment réagir? 

Tirer le bilan et agir maintenant pour éviter de revivre ce drame

Quand survient une catastrophe comme celle qui vient de toucher notre Région, et particulièrement la Province de Liège, le débat est toujours vif sur “le bon moment” pour établir les responsabilités des uns et des autres alors que de nombreux citoyens sont encore occupés à panser leurs plaies.  Pour certains, il est toujours trop tôt. Le temps médiatique étant ce qu’il est, c’est maintenant qu’il faut en parler, maintenant que la réalité de la catastrophe est présente. Après, il sera trop tard. Ce sera, une fois de plus, “business as usual”.

En quelques jours, c’est un quart des précipitations annuelles habituelles qui sont tombées sur la Région.  Peut-on pour autant parler de catastrophe “naturelle” ?  Comme l’a rappelé le climatologue Jean-Pascal van Ypersele sur le plateau de la RTBF, le premier rapport du GIEC concluait déjà noir sur blanc : “l’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique, c’est-à-dire qu’il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement abondantes et plus de sécheresses prononcées.”. Nous y sommes. Et rien ne semble pouvoir arrêter la machine à l’échelle planétaire avec des émissions de CO2 qui continuent de croître comme dans des décisions régionales voire plus locales totalement suicidaires d’un point de vue climatique. 

Pendant que la catastrophe climatique se déroule sous nos yeux, le développement des deux aéroports wallons reste une priorité économique pour la majorité au commande de la Région. Pourtant, le chercheur de l’ULiège Pierre Ozer a montré que la seule production de C02 liée à l’aéroport de Liège Airport était en passe d’annihiler tous les efforts de réduction de C02 faits par ailleurs. Autant pisser dans un violon.

Pendant que les conséquences du dérèglement climatique se font ressentir dans nos chairs, on continue à bétonner le territoire, des bourgmestres délivrent des permis en zones inondables, des bois et des forêts sont détruits pour permettre l’étalement urbain et la croissance démographique de localités rurales qui n’en ont plus que le nom. Le stop béton n’est attendu que pour 2050. D’ici 2050, combien d’autres catastrophes climatiques auront nous encore à subir? La responsabilité de l’étalement urbain, de l’artificialisation des sols, du déboisement et de la culture intensive dans l’écoulement rapide des eaux a mainte fois été démontrée. Une forêt retient 150x plus d’eau qu’un champ en cas d’averse intense. Que dire alors d’un lotissement, de routes goudronnées?

Exemple concret de la responsabilité de notre Région en la matière, la fiscalité communale actuelle, terriblement dépendante des additionnels à l’impôt sur les personnes physiques et au précompte immobilier, conduit la quasi-totalité des majorités communales à accepter une foule de projets immobiliers absolument néfastes.  A Liège, la simple demande de compenser l’urbanisation de nouvelles terres par la désartificialisation (c’est-à-dire le fait de remplacer du béton par de la végétation qui absorbe les précipitations) de surfaces équivalentes semble inenvisageable pour l’actuelle majorité. C’est plus que symbolique. Et ce sont encore 2 hectares au cœur d’un des principaux poumons verts de la ville qui sont menacés d’urbanisation.  Il faut donner à des communes exsangues financièrement la capacité de dire non et leur permettre de se financer autrement. Il faut également une solidarité supracommunale pour éviter l’étalement urbain qui conduit à une explosions des émissions de C02 liées au déplacement en voiture. On en est loin. 

Puisqu’il est de toute façon trop tard pour totalement s’éviter le mur climatique, il va être nécessaire et indispensable de s’adapter pour contrer certaines de ses conséquences.  C’est le cas des réseaux d’égouts (qui ne sont pas au gabarit pour le type d’événements climatiques qui nous attendent), la gestion des rivières (avec sans doute malheureusement la nécessité de replacer des murs anti-crues et de revoir les systèmes de stations de pompage par endroits), la réouverture de bras de rivières comblés au siècle dernier, la recréation de zones humides, la replantation massive de fôret et bien évidemment la désimperméabilisation des sols déjà évoquée. La bétonisation qui se poursuit envers et contre tout doit absolument être stoppée dès maintenant.  Enfin, il convient de totalement repenser notre agriculture pour privilégier des sols qui retiennent l’eau au mieux avec un maximum de surfaces végétalisées.

Bref, il faut une politique d’aménagement du territoire qui intègre ces enjeux au niveau wallon et au niveau local. De ça aussi on en est loin.

Il est également impératif de revoir complètement notre processus de production, de diminuer drastiquement l’afflux de biens de consommations produits à l’autre bout de la terre, de revoir notre mobilité. Et caetera, et caetera.

La liste des actions à entreprendre est encore longue. 

Tout cela repose sur une logique non marchande. Tout cela nécessite une volonté politique claire et forte, des moyens financiers colossaux, des administrations qui intègrent pleinement les enjeux de demain. Tout cela passe par des services publics efficaces et justement financés.

Et cela nécessitera de mobiliser les bras et les cerveaux dans une seule et même direction, celle de l’intérêt collectif.

Le coût humain et financier, qui s’élèvera sans aucune doute à plusieurs dizaines de milliards d’euros, de la catastrophe que nous vivons et des catastrophes à venir est et restera toujours plus élevé que celui de l’action.

On a entendu le Ministre président wallon, Elio di Rupo, s’émouvoir de l’absence de moyens de la protection civile.  Il y a plus de deux ans déjà, le Mouvement Demain avait alerté l’opinion publique sur ce sujet (LIEN), sans le moindre impact.

La catastrophe que nous vivons est bien plus “humaine” et “politique” que “naturelle”. Nous avons la capacité de faire face collectivement.  Mais cela nécessite une rupture claire avec les logiques politiques et économiques actuelles.  

Et pour que cette rupture s’opère, il faudra tout de suite mettre la pression sur le pouvoir politique. Nul doute que les mouvements citoyens, les ONG, les partis et mouvements politiques conscients des enjeux climatiques seront sur la brèche.

Nous aussi.

par Raphaël Pilette, Virginie Godet et Pierre Eyben

Carte blanche parue dans le webzine l’Asymptomatique

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