Ce dimanche matin, les habitants riverains de l’aéroport ont été réveillés par une agitation
inhabituelle. Alertes RTL et RTBF, communication officielle de Liège Airport, article de l’agence Belga,
réseaux sociaux saturés de photos, de vidéos et de commentaires : sous un ciel bleu strié de longues
traînées blanches, un événement rare venait de se produire.
Si les riverains de l’aéroport de Bierset sont malheureusement habitués aux incidents aériens, avions
en détresse, atterrissages d’urgence ou décollages avortés, ils n’avaient encore jamais été témoins
d’un largage de carburant en direct au-dessus de leur commune.
Un largage de carburant confirmé
Les images et témoignages observés ce matin correspondent bien à ce que l’on appelle un fuel
dumping, c’est-à-dire un largage volontaire de carburant en vol.
Mais pourquoi une telle procédure ? Pour des raisons structurelles, un avion ne peut pas se poser au-delà d’une certaine masse
maximale. À titre d’exemple, un Boeing 747-400 ne peut atterrir qu’avec une masse d’environ 300
tonnes, alors que sa masse maximale au décollage peut atteindre près de 400 tonnes. Cette
différence est normale : ce type d’appareil est conçu pour des vols long-courriers et est censé
consommer une grande partie de son carburant avant l’atterrissage.
En cas de problème peu après le décollage, l’avion est donc trop lourd pour se poser immédiatement.
Le largage de carburant permet alors de réduire rapidement sa masse afin d’effectuer un atterrissage
non prévu en toute sécurité.
Une procédure encadrée… mais rarement au-dessus des terres proche de l’aéroport
Le fuel dumping est une procédure normalisée et déjà utilisée par le passé pour des avions au départ
de Bierset. En théorie toutefois, l’appareil doit se diriger vers la mer du Nord, procéder au largage,
puis revenir vers l’aéroport. Une distance qui peut sembler importante, mais qui reste très courte à
l’échelle de l’aviation commerciale.
Or, ce dimanche matin, la situation a été différente.
D’après les données disponibles au moment de la rédaction de cet article, l’avion a procédé à son
largage presque immédiatement après le décollage, à une altitude d’environ 6 000 pieds (1,8 km) et à
une vitesse comprise entre 200 et 250 nœuds (370 à 463 km/h).
Si cette manœuvre peut paraître choquante, elle n’est pas illégale. La norme internationale ICAO
DOC 4444 recommande en effet un largage à une altitude minimale comprise entre 5 000 et 6 000
pieds et à une vitesse minimale de 250 à 350 nœuds, soit des paramètres proches de ceux observés
lors d’une phase d’approche.
Quelles conséquences au sol ?
En se basant sur les données disponibles et sur la méthode de calcul développée par l’ADV
(Arbeitsgemeinschaft Deutscher Verkehrsflughäfen e.V.), on estime qu’environ 8 % du kérosène
largué dans un cas semblable retombe au sol.
Dans le cas du largage observé ce dimanche, cela représenterait près de 8 tonnes de carburant
potentiellement déposées sur le territoire survolé.
Le rapport précise également que, compte tenu de la durée et de l’étendue du largage, toute
détection a posteriori est pratiquement impossible, rendant difficile toute évaluation environnementale
ou sanitaire précise après coup.
L’appareil concerné et le déroulé du vol
L’avion à l’origine de ce largage est un Boeing 747-412 appartenant à la compagnie Challenge
Airlines, immatriculé OO-ACE. L’appareil avait décollé de Liège à destination de New York.
Rien d’inhabituel en apparence : Challenge Airlines, compagnie belge spécialisée dans le fret,
exploite une flotte de six Boeing 747 ainsi que quatre Boeing 767, et l’aéroport de Bierset est bien
connu pour accueillir ces appareils cargo. Le 747 concerné est un habitué des liaisons long-courriers
au départ de Liège, notamment vers New York, Tel-Aviv, Bakou, Hong Kong et Zhengzhou.
Depuis le début de l’année 2025, cet avion a déjà effectué 411 vols vers ces destinations, soit parfois
jusqu’à deux vols par jour, un rythme particulièrement soutenu pour ce type d’appareil.
Un avion ancien, très sollicité
Les Boeing 747 représentent un investissement considérable et sont, de ce fait, intensivement
exploités. L’appareil concerné n’est toutefois plus de première jeunesse : il fêtera son 35ᵉ anniversaire
en janvier 2026.
Malgré des mises à jour régulières et des opérations de maintenance conformes aux normes en
vigueur, l’âge de l’avion et son niveau d’exploitation interrogent, notamment au regard de la nécessité
d’un largage de carburant aussi précoce après le décollage.
Un trajet complexe au-dessus de plusieurs communes
Après un décollage à 10h20, l’avion prend initialement la direction d’Engis. Il effectue ensuite deux
boucles, suivies d’un huit entre Engis et Waremme, à une altitude relativement basse.
Il entre ensuite dans un circuit de délestage, au cours duquel il effectue sept boucles
supplémentaires, avant de réaliser un nouveau huit afin de rejoindre le FAF (Final Approach Fix) pour
l’atterrissage. L’approche finale se fera en survolant Alleur.
Les communes les plus exposées au largage de carburant sont :
Saint-Georges, Verlaine, Harduemont, Donceel, Crisnée, Villers-l’Évêque, Awans, sans oublier
Fexhe-le-Haut-Clocher, située pratiquement au centre du circuit de vol.
Un atterrissage sans incident
L’appareil s’est finalement posé sans encombre à 11h42 à l’aéroport de Liège.
Si aucun incident technique majeur n’a été officiellement communiqué à ce stade, la nature du vol, la
rapidité du largage et l’ampleur de la zone survolée continuent de susciter de nombreuses
interrogations chez les riverains et les observateurs.
Pourquoi un largage aussi rapide après le décollage ?
L’annulation d’un décollage [RTO] n’est pas un événement rare en aviation. Toutefois, au-delà d’une
certaine vitesse critique, appelée V1, le pilote n’a plus la possibilité d’interrompre la manœuvre en
toute sécurité. Une fois cette vitesse atteinte, l’avion doit impérativement décoller, quelles que soient
les difficultés rencontrées.
La rapidité avec laquelle la situation d’urgence s’est imposée laisse fortement penser que l’équipage
a été confronté à un problème technique ou mécanique immédiatement après le passage de V1.
Dans ce cas, l’équipage n’a plus d’autre choix que de poursuivre le décollage, même si l’appareil
n’est pas dans des conditions normales de vol.
L’impossibilité de rejoindre la mer du Nord
Le fait que l’avion ne se soit pas dirigé vers la mer du Nord, comme le prévoit habituellement la
procédure, suggère que l’anomalie rencontrée était suffisamment sérieuse pour empêcher l’appareil
de prendre l’altitude et la vitesse nécessaires à un survol prolongé du territoire.
À tout le moins, le commandant de bord a estimé que son avion n’était pas en mesure d’y parvenir en
toute sécurité, privilégiant un retour rapide vers l’aéroport de Liège.
Plusieurs témoins indiquent par ailleurs que l’avion aurait effectué ses boucles train d’atterrissage
sorti. Une situation inhabituelle, le gear up faisant normalement partie des toutes premières actions
après le décollage, en raison de la traînée aérodynamique particulièrement importante sur ce type
d’appareil.
Une gestion maîtrisée d’une situation critique
Quelles que soient les causes exactes de l’incident, qui devront être précisées par les autorités
compétentes, il convient de souligner le professionnalisme de l’équipage et des contrôleurs aériens,
qui ont permis un retour au sol sans incident.
Même si l’on peut regretter qu’il s’agisse une fois encore d’un Boeing 747, un type d’appareil
régulièrement pointé du doigt pour ses enjeux de sécurité, son ancienneté et ses nuisances sonores,
la gestion de cette situation d’urgence démontre un réel savoir-faire opérationnel.
Une alerte de plus, jusqu’à quand ?
Une fois encore, c’est un Boeing 747 qui est concerné. Une fois encore, un largage de carburant a
lieu au-dessus de zones habitées. Et une fois encore, la situation s’est heureusement soldée sans
drame.
Mais la question demeure : que se serait-il passé si l’avarie avait été plus grave, alors que l’appareil
se dirigeait initialement vers l’axe de la centrale nucléaire de Tihange ? Cette simple hypothèse suffit
à mesurer l’ampleur du risque auquel les populations sont exposées.
Jusqu’à quand faudra-t-il compter sur la chance plutôt que sur une véritable prise de conscience des
enjeux de sécurité, de santé publique et d’environnement ?
Un texte de Luc Joachims






