La Meuse du 20 novembre 2023. Le CEO de Liège Airport s’exprime dans le journal : « Liège Airport va investir 500 millions sur 20 ans pour doubler son nombre de vols (55 000) et ses emplois (25 000)« . Cependant, en parallèle, le journal Le Soir titrait : « Climat : les promesses mondiales mènent à un réchauffement d’environ 3°C« . Mais laissons de côté ce « détail » et examinons de plus près l’article ainsi que ce qu’il ne mentionne pas.

Le nombre de mouvements :

Le permis limitant le nombre de mouvements à 55 000 par an est désormais présenté comme une opportunité de création d’emplois, alors qu’il y a un peu plus d’un an (le 13 octobre 2022), le même CEO avait émis un avertissement fort : « Liège Airport avertit : « 5 000 emplois seraient supprimés avec le nouveau permis, il doit être revu ! »« . Est-ce que Liège Airport a manipulé les chiffres il y a un an ? C’est probable, étant donné les nouvelles données avancées par le même CEO. Ou bien, les chiffres d’aujourd’hui ne sont-ils plus fiables ?

Revenons sur les chiffres et la déclaration. 22 000 mouvements sont prévus cette année (par souci de simplification, je ne tiendrai pas compte des avions de moins de 34 tonnes, puisqu’ils ne sont plus inclus selon le nouveau permis). Doubler ce nombre donne donc 44 000 mouvements, ce qui est encore inférieur au permis délivré en première lecture (qui était limité à 50 000). Est-ce une contre-performance ? L’aéroport serait-il en perte de vitesse ?

Malheureusement, aucun mot dans l’article sur le tonnage, pourtant crucial dans un aéroport de fret. Le travail à accomplir et donc le nombre d’emplois ne seraient pas les mêmes avec des mouvements d’A320F (27 tonnes de charge utile) ou de B747-800F (140 tonnes de charge utile). C’est un peu comme si le Tec nous annonçait la création d’un dépôt pour 500 bus sans préciser combien de voyageurs ont été transportés.

Silence radio donc sur le tonnage, et ce n’est pas très étonnant. L’analyste « upply » dans un article du 13 octobre 2023 n’est guère optimiste non plus : « Le marché mondial du fret aérien a progressé en août 2023, pour la première fois en 19 mois. Mais cette bonne nouvelle ne suffit pas à annoncer une haute saison digne de ce nom« .

Heureusement, Monsieur Jossart nous rassure : « Nous nous sommes basés sur les projections commerciales de nos clients historiques (Fedex, Challenge, ASL…), sur celles de nos nouveaux clients (Cainiao, Air Canada cargo, MSN…) et sur notre propre feeling« . Pour le feeling, on a déjà bien vu ce que cela donne. Pour les clients, Fedex n’a pas hésité une seconde à délocaliser, ASL vole essentiellement pour Fedex dans la partie fret, et Cainiao est extrêmement volatil et dispose d’un contrat de location sans aucune sanction en cas de non-engagement ou de départ. Bref, une manipulation artistique une fois de plus.

Heureusement, le CEO nous annonce que le master plan est réalisé par phases, donc si ça ne va plus, on arrête… Sauf que la plaine de Cubber est déjà débarrassée de ses arbres et de la caserne militaire qui l’occupait (pourtant prévu en 2025), et que la zone Stockis a déjà son collecteur d’eau installé à grands frais (27 millions), pourtant prévu en 2029 seulement.

L’emploi :

Le seul argument vraiment valable que développe Liège Airport pour faire passer la pilule est l’emploi. Ne tuez pas l’emploi. Cependant, là aussi, en termes de chiffres, j’aurais préféré confier l’exercice à Michel de Nostre Dame. Aujourd’hui, le CEO annonce 25 000 emplois en 2040, voire même 30 000. Impressionnant alors qu’avec le même nombre de mouvements, il annonçait une réduction de 5 000 emplois il y a seulement un an. L’emploi comme arme ultime, utilisée comme variable d’ajustement ?

Restons sérieux deux minutes. Même si le nombre de mouvements double, il ne faudra pas deux fois plus de pompiers, ni deux fois plus d’agents de piste, ni deux fois plus d’agents d’avitaillement, ni deux fois plus d’agents d’entretien pour les bureaux, ni deux fois plus d’agents administratifs, etc., etc.

Il n’y aura quoi qu’il arrive jamais qu’une et une seule piste disponible à Liège Airport, avec un temps d’attente réglementé entre deux mouvements. Il y aura tout au plus des agents supplémentaires dans les nouveaux entrepôts pour la manutention (jusqu’au jour où les machines prendront le relais).

Comment faire une vrai estimation, puisque jusqu’à présent, nous n’avons jamais reçu la méthode de calcul utilisée dans l’estimation des emplois créés. Ni après demande, ni même dans l’Étude d’Impact Environnemental. N’étant pas spécialiste dans ce domaine, je laisse le calcul à d’autres qui se feront très certainement une joie de revoir les chiffres. Cependant, avec les mêmes informations annoncées, une perte de 5 000 emplois en 2022 pour un an plus tard crier un accroissement de 15 000 emplois avec le même projet, c’est visiblement qu’un employé a dû trouver une formule magique dans un tableau Excel pour faire plaisir à son patron.

Campagne de Stockis (avec vue sur la gare Fret)

Campagne de Stockis (avec vue sur la gare Fret)

L’environnement :

« Nous aspirons à devenir un modèle sur le plan environnemental. » En effet, doubler le nombre de mouvements est un excellent moyen d’améliorer l’environnement. Mais passons ce détail. Soixante millions sont donc annoncés pour des projets environnementaux (sur un budget global de 500 millions, à peine plus de 10% donc), et que va-t-on y retrouver :

Un pipeline :
Suis-je le seul à être perplexe à la lecture de « un nouveau pipeline de kérosène » dans la rubrique environnement ? On nous dit que c’est pour limiter le nombre de camions-citernes (l’article ne le dit pas, mais aujourd’hui, ils sont plus de 50 à venir chaque jour à Bierset remplir la cuve numéro 4 de Jet-A1). Ainsi, l’idée est un pipeline pour transporter le kérosène par train jusqu’à une gare à construire. Bonne idée ? Vraiment ?

Le SAF :
Encore lui, le Sustainable Aviation Fuel. Dont seul le fabricant de SAF est certain que ça va marcher. Proposer du SAF pour polluer moins, c’est comme remplacer la vodka par un cocktail de vodka pour arrêter de boire. Ça n’a aucun sens pour plusieurs raisons.

1. Le SAF est constitué de kérosène additionné d’huile et de déchets issus de l’industrie/biomasse. En gros, le jour où nos industries seront vertueuses (ce que tout le monde appelle de ces vœux), il n’y aura tout simplement plus assez de déchets pour le SAF.

2. Vu le nombre de mouvements mondiaux, la consommation astronomique de Jet-A1 et le peu de fabricants de SAF, le remplacement semble tout à fait illusoire, mais reste un effet d’annonce.

3. Le problème de pollution des avions ne vient pas seulement du carburant, mais aussi des particules (les pneus sont très sollicités dans le LTO) et des émissions à haute altitude qui, quel que soit le carburant (SAF ou Jet-A1), contribuent également au réchauffement climatique (deux tiers du réchauffement climatique lié à l’aviation ont pour sources ces effets non CO2).

4. Une étude très sérieuse conclut d’ailleurs qu’aujourd’hui, en l’état : « le kérosène fossile est à préférer », carrément. [https://www.mdpi.com/2076-3417/12/2/597]

Le problème de pollution lié à l’aviation, ce n’est pas le carburant, c’est l’avion lui-même.

Et les avions alors:

Les émissions provenant des avions ne sont  pas incluses dans le calcul du bilan carbone d’un aéroport. Voilà, bonjour, aurevoir.

Le trafic routier :

Qui a déjà parcouru l’échangeur de Loncin sait qu’il peut très bien y passer des heures ou le traverser en quelques minutes. Mais pour Liège Airport, là encore : « Quant au trafic de camions lié à l’aéroport justement, il ne représente qu’une toute petite partie des problèmes de mobilité générés surtout par la position centrale de l’échangeur de Loncin en Europe du Nord« . Je pense qu’il n’a probablement jamais lu ni le PUM (Plan Urbain de Mobilité) ni l’EIE (Étude d’Incidence sur l’Environnement). Je vais donc livrer quelques extraits.

‘EIE, page 666 nous dit ceci:
« Sur la base d’hypothèses de parts modales (90 % de voiture comme conducteur), de génération d’emplois et de poids-lourds selon le type d’activités, le développement de la zone aéroportuaire et la mise en œuvre des zones d’activités économiques (logistique et bureaux) généreront journalièrement, en entrée de la zone aéroportuaire, les flux suivants (STRATEC, 2022) :
– 31.423 véhicules légers/jour ;
– 6.008 poids-lourds/jour ; »

Et le PUM 2019 nous dit ceci (page 66):
« En cas de poursuite des tendances de forte croissance du trafic routier, l’ensemble du ring nord de l’échangeur de Flémalle à Battice, ainsi que l’E25 de Beaufays à Loncin et l’E42 de Verviers à Battice seront sursaturés.
Cette sursaturation s’étalerait de 7h le matin à 19h le soir sur le ring nord et l’E25 et serait de nature à :
– Freiner le potentiel de développement économique ;
– Augmenter davantage encore la pollution sonore et atmosphérique ;
– Encourager le transit cherchant à bipasser les axes stratégiques par des voiries et des quartiers inadaptés
 »

Mais si Liège Airport dit qu’il n’y a pas de soucis, ca doit être vrai je présume.

Aménagement du puit de récupération des eaux de Stockis/Cubber et passage sous voie de Bierset à Awans (photo depuis Bierset vue vers Awans)

Aménagement du puit de récupération des eaux de Stockis/Cubber

Plus de béton ?

Dernier point, une cartographie dans l’article nous indique quelques zones avec leur date de mise en œuvre (je me demande si c’était vraiment bien judicieux de présenter cela). Elle nous dit ceci :

Timing  Site    Superficie
2024  FlexPortCity 2a   10.2 h
2025  Cubber            68,4 h
2026  Jolive             7.7 h
2027  Cubber en bois     9,6 h
2029  Stockis             84 h

Confirmation donc à peine voilée dans l’article de l’utilisation de 179 hectares de plus que ce qui est déjà fait. Même si ces terres sont inscrites au plan de secteur, ce n’est pas une raison pour les bétonner à tout prix, car, pour rappel, les zones Stockis et une partie de Cubber sont aujourd’hui cultivées par nos agriculteurs.

En conclusion, le master plan n’a pas tellement changé (quelques parkings avions en moins), mais encore une fois, chiffres incohérents, ambitions bien supérieures à la réalité, une projection de l’avenir « au feeling ». J’ai bien peur que si personne n’arrête cette machine, nous aurons en 2040 un gigantesque outil qui ne servira plus à rien et qui nous aura au final coûté plus d’un milliard d’euros. Ce n’est pas comme si cette situation ne s’était jamais produite dans notre belle Wallonie.  Et ce n’est pas comme si le CO² était un problème.

Une opinion de Luc Joachims

Illustration du journal La Meuse

Illustration du journal La Meuse

Sources:

https://www.sudinfo.be/id748143/article/2023-11-20/liege-airport-va-investir-500-millions-en-20-ans-pour-doubler-son-nombre-de-vols
https://www.lesoir.be/550494/article/2023-11-20/climat-les-promesses-mondiales-menent-un-rechauffement-denviron-3degc
https://www.sudinfo.be/id555999/article/2022-10-13/liege-airport-avertit-5000-emplois-seraient-supprimes-avec-le-nouveau-permis-il
https://www.lesoir.be/523851/article/2023-07-06/les-dessous-du-contrat-entre-liege-airport-et-alibaba
https://mobilit.belgium.be/fr/aviation/aeroports-et-aerodromes/statistiques
https://market-insights.upply.com/fr/fret-aerien-la-legere-croissance-daout-nannonce-pas-lembellie
https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/05/pollution-apres-le-co-le-secteur-aerien-confronte-a-la-question-des-trainees-de-condensation_6187838_3234.html
https://www.denys.com/fr/projecten/sowaer-1
https://www.icao.int/environmental-protection/Pages/LAQ_TechnologyStandards.aspx

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