Nous sommes en 2015, Mamadou, prénom d’emprunt, a 14 ans. Ses parents sont séparés depuis qu’il a 10 ans. Il joue une partie de football avec des copains.  Il chambre un adversaire qui a perdu.  Celui-ci fait une crise d’épilepsie, il s’effondre, Mamadou reste seul à ses côtés mais est impuissant, celui-ci décède sous ses yeux.  La famille de ce dernier, puissante et d’une ethnie différente, veut faire payer Mamadou. Elle voit dans ce décès non pas la conséquence d’une maladie mais un acte de sorcellerie. Mamadou est mis à l’abri chez la meilleure amie de sa maman mais la situation ne se calme pas, sa maison est mise à sac. Les deux femmes prennent une décision lourde de conséquences : Le fils de l’amie (un peu plus âgé) et Mamadou doivent quitter le pays pour se sauver. Elles rassemblent leurs économies et c’est le début d’un long périple avec celui que Mamadou appellera son “frère”.  Ce sera le Mali, l’Algérie puis la Libye.  Sur le chemin, Mamadou qui est un enfant verra des morts, beaucoup de morts.  Au Mali, il voit des passeurs exécuter sous ses yeux ceux qui ne peuvent pas payer.  En Libye, ils sont mis à 4 “petits” dans le coffre d’une voiture, les deux enfants placés en dessous de lui meurent pendant le trajet.  De leurs suppliques et de cet enfermement dans un coffre, il garde une claustrophobie et des cauchemars nocturnes.  En Libye encore, il travaillera comme esclave ne recevant qu’un peu de nourriture pour survivre.

Nous sommes le 3 janvier 2017, Mamadou a 16 ans. Après 5 tentatives infructueuses, il atteint les côtes siciliennes à bord d’un zodiac de fortune. Là, il est pris en charge et séparé de son “frère” qui est majeur.  Il est transporté vers un centre pour migrants mineurs non accompagnés du côté de Milan. Sur conseil de son “frère”, Mamadou tente de rejoindre la France en train.  Il atterrit en fait en Suisse, puis à la frontière allemande.  Là, transi de froid, il se rend dans un poste de police pour demander de l’aide. Il est pris en charge et se retrouve dans un centre ouvert en Allemagne.  Il y passera environ deux années.  Il est scolarisé, il apprend l’Allemand mais le contexte reste compliqué, le racisme est présent dans la petite localité où se trouve le centre.  Et puis, il a ses cauchemars la nuit.

Nous sommes le 3 mars 2019, Mamadou arrive en Belgique, à la gare du midi, un peu sur un coup de tête. Il introduit sa demande d’asile le 4 mars 2019. Il est conduit au centre ouvert FEDASIL de Mouscron le 5 mars 2019. Là, Mamadou passera près de 5 années. Il se reconstruit peu à peu.  Pour se vider la tête, Mamadou joue au foot dans le parc près du centre.  Il est bon.  Il est repéré. Il intègre l’Excelsior de Mouscron où il finira même par jouer en équipe réserve. Il travaille également en usine.

Nous sommes en 2023, Mamadou reçoit un ordre de quitter le territoire. Il doit quitter le centre FEDASIL.  Il est hébergé chez un ami à Tournai. Mamadou à une petite amie camerounaise.  Il est infidèle.  Elle est folle de rage, elle le retrouve chez lui et vient tout casser. Mamadou se fâche et lui prend son gsm.  Elle va à la police porter plainte pour vol et violence. Le lendemain, elle se calme, retourne à la police pour annuler sa plainte … mais il est trop tard, cette simple querelle d’amoureux aura pour lui des conséquences majeures.

Nous sommes le 24 mars 2024, Mamadou vit désormais à Mons avec sa petite amie camerounaise. Il est arrêté par la police, amené devant un magistrat, celui-ci écoute son histoire puis demande sa libération, mais l’office des étrangers s’y oppose.

Nous sommes le 28 février 2024, Mamadou est amené dans un centre fermé. Souffrant de claustrophobie, il vit très mal cet enfermement.  Le 12 mars, il fait une première tentative de suicide en avalant de la javel.  Il est conduit à l’hôpital où il subit un lavage d’estomac. Il est violenté par des policiers qui pensent qu’il souhaite fuir (ce qu’il nie). Mamadou est transféré dans un autre centre fermé.  Il y fait une seconde tentative de suicide en avalant des pièces de monnaie.  Plutôt que d’être amené à l’hôpital, il est mis à l’isolement pendant une semaine. Il souffre pourtant de saignements.

Nous sommes le 12 avril 2024, Mamadou prend du Trazodone, du Sedistress, et de l’Omeprazol-apotex pour tenter de survivre. 

Nous sommes le 14 avril 2024, nous sommes devant le Centre fermé de Vottem pour redire comme chaque année que nous n’acceptons pas ce camp de la honte. Nous pensons à Mamadou et à toutes celles et ceux broyés par la vie chez eux, que nous enfermons ici et auxquels nous refusons le respect de leurs droits, et juste un tout petit peu d’humanité.

Un témoignage de Pierre Eyben

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