Le couperet est tombé. Le nouveau permis de Liège Airport est maintenant défini, et personne n’a vraiment gagné si ce n’est peut-être l’aéroport. Petit rappel, deux points du premier permis accordé par l’administration constituaient un réel frein au développement « sans limite » de l’aéroport. Ce sont d’ailleurs eux qui ont cristallisé la discussion. Il y avait d’une part, le nombre de mouvements autorisé (alors 50.000), ce qui était trop peu pour l’aéroport et la droite, le PS et le PTB. Et d’autre part, la réduction du bruit global de nuit sur base annuelle. Encore une fois, trop contraignant pour l’aéroport et ses soutiens. C’est donc une bataille de 5 mois qui se termine. Pour Luc Joachims, riverain et porteur d’une pétition au Parlement de Wallonie concernant les impacts écologiques, sociaux et sanitaires du développement de l’aéroport : « Une chose est sûre, ni les nuits des riverains ni la lutte contre le réchauffement climatique, ni l’engagement de consommer et produire local n’ont gagné ce combat. » Analysons les nouvelles mesures, et ce que sera l’avenir de la région avec ces changements.
Une limite de 55.000 mouvements par an pour les avions de plus de 34 tonnes
Entre les 50.000 mouvements du premier permis, les 70.000 souhaités par l’aéroport, les 60.000 du ministre Borsus, les 38.150 mouvements de l’année record 2021, et le 28.000 mouvements de 2022, c’est finalement un compromis à la Belge qui a été trouvé. Mais que cache ce chiffre ? Encore un petit rappel ? Les 38.150 mouvements de 2021 ont permis à Liège Airport de transporter 1,4 million de tonnes de fret. L’objectif avoué de l’aéroport est d’arriver à 2 millions de tonnes d’ici la fin du master plan 2020-2040. Faisons une petite règle de trois pour vérifier. Avec les 55.000 mouvements par an, nous devrions atteindre 2,01 millions de tonnes. Voilà donc le pourquoi des applaudissements du patron de l’aéroport. Aéroport « one point », bien joué.
Plus concrètement, c’est donc bien en moyenne 46 mouvements de plus par jour, soit 23 avions qui vont débarquer à Bierset quotidiennement. En moyenne nous parlons tout de même d’un mouvement toutes les 9 minutes, h24 et 7j/7. Bien entendu, les mouvements ne seront pas si étalés, il y aura des pics. Et les pics de nuit sont à craindre.
Subtilité supplémentaire, les « petits » avions ne sont pas comptabilisés dans le comptage des mouvements et passent donc « sous le radar ». Entendez par là, les avions de moins de 34 tonnes ou 19 places assises. Mais c’est quoi ces petits avions ? C’est le nouveau pôle « aviation d’affaire » qui se trouve dans le bâtiment tout neuf « ASL Group » à proximité de l’autoroute, et où vous pouvez louer un jet avec pilote pour faire un Liège-Paris. Leur catalogue, ce sont 24 modèles de jets différents, dont 22 ne seront pas comptabilisés, car disposant de moins de 19 places. Mais ce n’est pas tout, ils proposent aussi des vols « mini cargo » avec un Beechcraft B200 King Air, qui ne seront pas comptabilisés non plus.
Autre oublié des comptages, les petits cargos de moins de 34 tonnes utilisés par Fedex pour le transport régional, comme la liaison « Liège – Milan » qui est effectuée quotidiennement par un ATR-75, ATR-72 ou un Fokker F50. Et 30 nouveaux petits cargos viennent d’être commandés par Fedex pour du transport de courte distance, un transport qui pourrait parfaitement se faire de façon moins polluante par train ou par la route.
Ajouter ces petits cargos (qui ne seront pas limités) et augmenter à 55.000 mouvements, revient donc à doubler le nombre de mouvements que les riverains voient passer au-dessus de leur tête en une année. Il ne s’agit donc pas juste de couper la poire en deux, mais belle est bien d’augmenter considérablement le trafic aérien, et du coup, le trafic poids lourd qui en suit. Sur nos routes déjà saturées, ceci va lourdement impacter la mobilité de demain en région liégeoise.
Décollage interdit pour les avions les plus bruyants
Hier, il n’y avait rien, aucune limitation sur les nuisances sonores liées à l’aéroport. Et puis une idée géniale a été proposée sur le premier permis, comptabiliser sur base annuelle le bruit des avions pour chaque mouvement (décollage et atterrissage) entre 23h et 6h du matin. Ensuite, calculer une valeur annuelle (sur base de 2023) et obliger l’aéroport à diminuer cette valeur annuelle de 5% par an puis de 3% pour arriver enfin, vers 2040 à des nuits paisibles.
Aujourd’hui, il ne subsiste plus rien de ce long calcul pénible. Plus de calcul annuel, plus de quota basé sur le décollage et l’atterrissage. On va faire beaucoup plus simple, retenir uniquement un QC-D (Quota Count au Décollage) par avion, et interdire à partir du 1er janvier 2024 les avions avec un QC-D supérieur à 30. Par contre, aucune mesure de limitation n’est prise concernant les atterrissages qui ne sont pourtant pas exempts de nuisances sonores.
Qui donc ne pourra plus décoller (mais bien atterrir) à partir de 2024 entre 23h et 7h ? Voici la liste des avions concernés :
Type d’avion | QC Atterrissage | QC Décollage | QC Rotation |
747-100 | 20,89 | 91,20 | 112,09 |
747-200B | 12,38 | 48,78 | 61,16 |
747-200C | 12,70 | 48,46 | 61,17 |
747-200F | 12,69 | 49,18 | 61,87 |
747-300 | 15,92 | 45,43 | 61,34 |
747SP | 10,13 | 53,60 | 63,73 |
Bonne nouvelle donc, voici des gros porteurs interdits de décoller la nuit dès l’an prochain … sauf que nous avons beau chercher, nous n’avons trouvé aucune trace de ces avions à Bierset sur les 6 derniers mois. Dès lors, cette limite sera sans effet. Idem en 2025 lorsque le QC-D passera à 25 ! La liste des avions au-delà de ce chiffre est tout simplement vide pour les avions type « jet » atterrissant à Bierset. Cette diminution ne va donc servir à rien non plus. Il faut attendre 2030 et la diminution du QC-D à 20 pour enfin retrouver des avions qui nous concernent et dont voici la liste :
Type d’avion | QC Atterrissage | QC Décollage | QC Rotation |
747-400BCF | 8,95 | 20,76 | 29,70 |
747-400F | 8,66 | 22,90 | 31,56 |
DC-10-30 | 15,29 | 22,52 | 37,81 |
DC-10-30F | 15,29 | 22,52 | 37,81 |
Concrètement, ce qui est en fait annoncé c’est donc la fin (des décollages) des 747-400F (de nuit) dans 7 ans, rien avant cela. Mais dans ces tableaux, il s’agit de moyenne par type d’avions. Or, il existe en fait 261 variantes de cet appareil. Et sur les 261 variants, 69 ont un QC-D inférieur à 20 (souvent après une modification « phase III » avec de l’optimisation). Même en 2030, nous n’en aurons donc pas fini de voir (et d’entendre) des B747-400F. Ils seront un peu moins bruyants certes… mais ils seront toujours là et potentiellement plus nombreux.
L’objectif attendu par tous, c’est 2033 et un QC-D maximum de nuit fixé à 13. Cette limitation va de fait, limiter le décollage d’un autre type d’avion, les B727-200 (avion de type moyen). Et c’est tout. Oui oui, c’est vraiment tout. Et dans 10 longues années !
En résumé
Là où dans le premier permis, il y avait à terme, une baisse de 78% du niveau de bruit, et une baisse débutant dès 2024, nous voici avec un nouveau permis qui interdira, en 2033, uniquement le décollage des B747-400F, DC10 et B727-200, les autres types d’avions n’étant déjà plus présents. (Update: En réalité, les DC10 et B727 ne volent déjà plus en Europe depuis quelques temps ! Seul un type d’avion est donc concerné … ce qui n’aurait pas été le cas si l’on avait placé la norme à QC-D 12 comme initialement prévu et non 13) Parallèlement, le nombre de décollages sera d’ici là doublé ce qui, nous le savons, est un facteur qui a également un impact majeur sur le sommeil et donc sur la santé des riverains.
En conclusion, derrière les chiffres et le compromis trouvé sur le permis, nous ne voyons qu’un seul gagnant, et il se nomme Liège Airport. Pour Luc Joachims « Le gouvernement wallon a échoué à trouver un arbitrage juste et a largement cédé à la pression mise par des entreprises qui n’hésiteront quand même pas à délocaliser si elles peuvent faire plus de bénéfices ailleurs, ou à automatiser la manutention détruisant largement l’emploi. Dans ce contexte, il est de notre devoir civique aujourd’hui de faire front et de bloquer les quelques 280 hectares que l’aéroport dans son projet de Master Plan doit encore aménager. ».
Pour sa part, le Mouvement Demain va continuer le combat, à l’échelon local comme régional, contre cette fuite en avant. La décision wallonne de miser sur la logistique en général, et sur cet aéroport en particulier, était un mauvais choix du siècle dernier. A l’heure du défi climatique, confirmer et renforcer ce choix est une faute politique majeure. C’est un aveu de faiblesse du monde politique (et syndical) qui a cédé face au chantage patronal. L’écosocialisme, dont se revendique pourtant le PS, consiste précisément à avoir un Etat stratège qui opère des choix économiques et sociaux qui s’inscrivent dans le respect des limites planétaires. Les chiffres sont effrayants : le développement de Liège Airport annihile tous les efforts wallons en matière de réduction des émissions de C02. Doubler son activité, va aggraver la situation. Comment après un tel choix, peut-on imaginer réclamer avec succès des efforts à la population wallonne ? Loin de ce qui est mis en avant pour justifier cette décision éco-suicidaire, ce secteur largement soutenu avec de l’argent public est en outre une machine à tuer l’emploi local et à fragiliser la nécessaire relocalisation économique. C’est pourquoi nous continuons notamment de réclamer, comme en France, une étude qui comptabilise création ET destruction d’emplois.
Communiqué du 30 janvier 2023
Sources :
- Pour le calcul des QC-D : https://www.easa.europa.eu/en/domains/environment/easa-certification-noise-levels
- Pour le Business Jet: https://www.aslgroup.eu/en/planes
- Pour les mouvements : https://mobilit.belgium.be/fr/aviation/aeroports-et-aerodromes/statistiques
- Information sur les liaisons Liège-Milan : https://www.flightradar24.com/data/flights/abr176
- Plus globalement : https://www.easa.europa.eu/en
- Ainsi que : https://www.iata.org/
Bravo pour cette synthèse dans un dossier où un chat ne retrouverait pas ses jeunes.
Quelle déception, quelle tristesse. En route pour l’enfer!