Selon les derniers sondages électoraux, les partis nationalistes flamands VB et NVA sont en tête et pour la première fois de l’histoire en capacité de former une majorité en Flandre (66 sièges sur 126 soit 52%).  De son côté, la “gauche” flamande (vu la droitisation de Vooruit, il conviendrait de nuancer ce terme) se recompose (Groen en baisse et PVDA en hausse) mais demeure à un niveau très bas (33 sièges soit 26% des élus).  A Bruxelles, la gauche pèse 52% et en Wallonie 59%. Ces régions sont encore protégées de la contagion fasciste.

Il est donc visible que les deux moitiés du pays évoluent différemment sur les plans politique, social, économique et culturel. Ces divergences sont profondes et irréversibles. Il est donc légitime de s’interroger sur la pertinence de l’État belge; les raisons de conserver cet État ne peuvent être les mêmes de part et d’autre, si elles existent. 

Au nord, la prééminence des partis nationalistes aux côtés de partis qui n’ont eux-mêmes plus d’ancrage au sud, à l’exception du PVDA (PTB), est significative d’un détachement profond vis-à-vis de l’Etat belge. Hormis d’anciennes attaches affectives, il faut admettre que le nord n’a plus de besoin objectif majeur provenant du sud, hormis des garanties et libertés qui découlent de l’appartenance à l’Union européenne. Il subsiste un attachement symbolique à Bruxelles, plus grande agglomération du pays, autrefois flamande mais désormais francisée. Quelle que soit la réalité, l’image internationale de Bruxelles est positive et on imagine la difficulté de perdre ce lien. Quant aux rapports du nord avec la Wallonie, on peut sans doute affirmer que le nord n’a plus rien à en attendre, en tout cas pas plus ou moins que n’importe quelle région frontalière comme les Pays-Bas ou la France. On doit cependant noter que le nord du pays supporte une charge dans le fonctionnement de l’Etat qui serait moindre si cet État disparaissait. L’argument moral de la solidarité entre voisins est séduisant mais manifestement insuffisant pour certains des voisins. 

Au sud, il ne se trouve aucun parti nationaliste. Ceci s’explique en partie par l’Histoire puisque le sud n’a pas eu l’impression d’être soumis à l’autre moitié du pays comme c’est courant au nord, quelle que soit la réalité objective. En revanche, quand le nationalisme flamand a commencé à se révéler pleinement, dans les années 60, il y a une bascule dans la situation économique des deux parties du pays, collant grosso modo à sa division culturelle. Au nationalisme flamand répond alors une volonté wallonne de « réformes de structure », souhaitant régionaliser la maîtrise des politiques sociales et économiques. Ces réformes conduiront à un démantèlement progressif de l’État belge, morcelé en communautés et régions, mais conservant la Wallonie en état de dépendance par rapport à la Flandre, surtout par des taux d’emploi différents, induisant des transferts continus du nord au sud pour indemniser les chômeurs. Cette dépendance, dénoncée et caricaturée par les nationalistes flamands, conduit les partis du sud à écarter toute réflexion quant à un éclatement éventuel du pays. Même si apparemment soucieux de bien-être social, ces partis sont ainsi amenés à reculer sur ce plan au niveau fédéral (chasse aux chômeurs, politique migratoire indigne,…), tant que le « bilan global » reste positif. Ce bilan se mesure assez objectivement en perte budgétaire si les « transferts nord-sud » s’arrêtaient. Trouver enfin une autonomie décisionnaire du sud par rapport au nord implique à court terme un appauvrissement des chômeurs, des retraités, des fonctionnaires, des écoles et des soins de santé, bref tout ce qui fait société. 

On peut rêver que l’indépendance du sud du pays lui permettrait de mener une politique économique et sociale juste, moyennant désobéissance aux diktats européens, qui recréerait ici des emplois nombreux, utiles et gratifiants. Cette nouvelle prospérité ferait oublier le temps de la soumission aux politiques imposées par le nord. Mais qui oserait annoncer des temps difficiles avant les jours heureux ? Aujourd’hui, personne n’a ce courage; la question de l’avenir politique de la Belgique est absente de la campagne en cours du côté francophone.

Le déblocage ne viendra sans doute que par le nord, le jour où il fermera le robinet financier. Et si personne au sud n’est préparé à cette éventualité, les jours ne seront alors guère heureux. 

Il est donc temps de sortir la tête du sable et de commencer à penser l’avenir, pour que les temps difficiles ne durent pas, mais aussi pour choisir la société dans laquelle nous souhaitons vivre. L’Etat est aujourd’hui largement aligné sur les besoins et les orientations politiques droitières de la Flandre. A défaut de pouvoir bien vivre ensemble, on peut envisager un divorce négocié (et non subi) de façon positive. 

Nous pourrions adopter un régime politique moderne, une République laïque et sociale définie par une assemblée constituante. Mettre en place une nouvelle organisation claire (et donc plus efficace et plus démocratique) de l’État, créative sur le plan territorial (suppression des provinces et organisation de « bassins de vie » autour d’agglomérations bien structurées). On peut sortir les communautés de leur sous-financement structurel et permettre de mieux organiser l’enseignement. Mettre en place une mutualisation financière des CPAS tout en gardant le service au niveau communal. Mettre de l’ordre dans le crédit et l’assurance (en créant par exemple une grande banque véritablement publique). Loin de la “pause environnementale” que réclame la Flandre, faire des choix clairs pour lutter contre le dérèglement climatique et permettre une bifurcation écologique (notamment énergétique). Stimuler la relocalisation industrielle et agricole, rapatrier la production de biens et services essentiels. Organiser de façon plus efficace la santé (réunifier prévention et soins curatifs notamment). Penser la migration en termes d’apports économiques et culturels et pas uniquement de répression.  Créer une véritable culture du multilinguisme. 

Si le partage des biens au moment du divorce est négocié en bonne intelligence (et nous avons des arguments à faire valoir), des jours heureux sont possibles.  Ouvrons enfin ce débat.

Une opinion de Thierry Bingen (membre du CF et de la Régionale bruxelloise du Mouvement Demain) et Pierre Eyben (conseiller communal à Liège et co-porte-parole du Mouvement Demain)

 

Share This