Il y a un an, nous dressions un état des lieux des avancées, des renoncements et des reculs annoncés avec l’arrivée de la majorité Vivaldi. Alors que vient de s’achever le premier réel exercice budgétaire de ce gouvernement, quels enseignements peut-on tirer de cette première année et des arbitrages budgétaires qui viennent de s’opérer ?
Le choix libéral d’un Etat largement absent
Avant d’aborder quelques points précis, le premier élément évident est que ce gouvernement, fidèle à la doxa libérale, fait assez largement le choix de l’austérité plutôt que celui de l’investissement public.
Alors même que le Président du Parti Socialiste, en principe converti à l’écosocialisme, déclarait il y a quelques jours que la transformation de nos sociétés pour répondre au défi climatique nécessiterait d’importants investissements publics (et donc des moyens), ce gouvernement n’annonce d’une part aucune mesure d’envergure pour aller chercher ces moyens nouveaux dans la poche des plus riches (la taxe sur les comptes-titres est simplement maintenue mais pas renforcée, la progressivité de l’IPP reste faible,…), et d’autre part aucun investissement d’importance dans les outils publics. On note juste, soyons de bon compte, 1.2 milliard dans les soins de santé mais qui constitue une confirmation de l’annonce d’il y a un an. L’enveloppe d’investissement pour stimuler la reprise et la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement (1 milliard € d’ici 2024) est totalement insuffisante au regard des enjeux. A la SNCB, les investissements annoncés (250 millions d’euros) sont sans commune mesure avec les coupes budgétaires effectuées par le gouvernement Michel les années précédentes (une baisse de la dotation de l’ordre de 3 milliards d’euros si l’on cumule les chiffres jusqu’en 2019). En parallèle 300 millions d’euros d’économie sont annoncés dans les services publics dès 2022, et 150 millions de plus en 2023. Dans le même temps toujours, l’exonération des cotisations ONSS à vie pour le premier emploi est maintenue alors que les interlocuteurs sociaux avaient remis un avis unanime pour le modifier. Cette mesure coûte à l’État pas moins de 500 millions d’euros par an. Dans le même temps enfin, on découvre sans que rien ne soit entrepris de sérieux pour y mettre fin, que les entreprises belges ont transféré 266 milliards d’euros dans des paradis fiscaux. Cela représente près de dix fois le budget total des soins de santé.
Au total, le gouvernement prévoit de faire un effort budgétaire net de 0,4% du PIB l’an prochain. Alors que l’Europe permet aux pays de l’Union de laisser filer le déficit pour sortir de la crise, la Belgique portera son effort total à 2,4 milliards d’euros. « A l’heure où la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance est toujours active : nous allons au-delà des demandes de l’Europe » a d’ailleurs tenu à préciser Alexander De Croo. A l’heure où se desserre le carcan budgétaire européen, notre pays fait donc un double choix limpide : ne pas aller chercher des moyens supplémentaires, ne pas investir largement dans la transition et la justice sociale. C’est absolument inacceptable.
Chasse aux malades de longue durée
Afin de faire des économies, dans la même logique de culpabilisation individuelle qui avait donné lieu aux mesures d’activation (horrible néologisme) des chômeurs, le gouvernement a cette fois décidé de pourchasser les malades de longue durée pour tenter d’augmenter le taux d’emplois. Cerise sur le gâteau, c’est même le “socialiste” flamand Frank Vandenbroucke qui porte la mesure.
Comme l’a rappelé François Perl, directeur du pôle acteur social et citoyen de Solidaris, les sanctions contre les malades sont non seulement indignes mais elles n’ont aucune efficacité. Au contraire, elles peuvent aggraver la situation médicale des travailleurs malades. Ce qu’il faut pour favoriser le retour au travail des malades de longue durée (dont la situation le permet), ce n’est pas instaurer une double peine mais investir dans l’accompagnement de celles et ceux qui le souhaitent et responsabiliser effectivement les employeurs qui sont, selon la Cour des comptes, les principaux responsables de l’échec des politiques de réintégration.
De la flexibilisation du travail déguisée en avancée sociale
Le taux de chômage structurel élevé a notamment pour origine la combinaison d’une productivité horaire qui n’a cessé de croître ces dernières décennies, couplée au fait que plus aucune réduction collective du temps d’emploi n’a été opérée.
Plutôt que d’avancer dans cette direction, le gouvernement a décidé de rendre possible le fait de travailler quatre jours par semaine, mais sans toucher au régime des 38 (et parfois 40) heures par semaine. Cela correspond donc au fait d’autoriser des journées de 9,5 heures, ce qui est tout sauf une avancée sociale. La vie des familles, singulièrement monoparentales, va être compliquée, et pour toute une série de métiers, les risques sur la santé liés à la charge journalière de travail vont être accrus par la fin du principe des 8h de travail maximum quotidien.
Il faudra également demeurer attentif concernant le travail de nuit pour le commerce en ligne. Il existe une énorme pression pour rendre le travail de nuit et le dimanche plus “compétitif”, c’est-à-dire pour mettre fin aux avantages salariaux des travailleurs qui y sont contraints. Le comble est évidemment qu’un des arguments avancés par les libéraux en faveur de cette nouvelle baisse de nos conditions de travail est le fait que BPost a installé son principal centre de dispatching e-commerce aux Pays-Bas. Peut-être aurait-il été plus intéressant de ne pas privatiser puis mettre en bourse cette entreprise publique désormais convertie aux règles internationales du moins-disant social pour s’éviter aujourd’hui pareille course à la concurrence par le bas entre Etats ?
Énergie : on s’attaque aux conséquences mais pas aux causes
Le tarif social de l’énergie sera prolongé durant le premier trimestre 2022 pour les 880.000 personnes les plus vulnérables. Un « chèque énergie » est par ailleurs instauré pour ces personnes. Il s’agira d’une réduction de 80 euros qui sera appliquée sur la facture au 4e trimestre 2021. Cela va dans le bon sens mais ne permettra aucunement d’amortir le choc qui s’annonce sur les prix du gaz et de l’électricité. Surtout, cela n’est aucunement une solution structurelle pour limiter notre consommation énergétique.
Dans notre analyse, il y a un an, nous écrivions ceci qui garde toute sa pertinence: “Il existe un risque réel d’enchérissement de l’électricité les prochaines années. Le Mouvement Demain formule trois propositions. Premièrement, un encadrement des prix (pour éviter que certains producteurs fassent des bénéfices sur un besoin essentiel). Deuxièmement, une aide concrète aux citoyens pour baisser leur consommation. Et troisièmement, une modulation du prix de l’énergie en fonction de son utilisation. Charger sa Tesla ou chauffer l’eau pour se laver, cela n’est pas consommer le même type de produit. C’est pourquoi, comme pour l’eau, nous proposons des tarifications progressives en fonction de la consommation et des compositions de ménage.”
Ecologie gadget : la farce de la taxe sur les billets d’avion
Même si Ecolo se félicite sur les réseaux sociaux de cette première année de Vivaldi, on peine grandement à voir ce qui justifie cet autosatisfecit.
Rien dans ce qui est fait par ce gouvernement n’est un tant soit peu à la hauteur des enjeux environnementaux et climatiques du moment. Les défaites sont réelles (comme sur l’avènement du déploiement de la 5G qui va avoir une incidence majeure d’un point de vue consommation énergétique), et les victoires semblent maigres ou carrément contre-productives, en témoigne la taxe de quelques euros (de 1 à 5 ont été avancés) sur les vols de moins de 500kms. Cette taxe est annoncée comme devant rapporter 30 millions d’euros (ce qui est déjà très peu) mais sur base des chiffres donnés, elle devrait rapporter encore beaucoup moins précisent déjà les journalistes de la RTBF qui l’ont analysée.
En matière d’écologie, il n’y a rien de pire que les mesures gadgets symboliques qui n’ont aucun effet concret. Or c’est évidemment ce dont il est question. Cette taxe qui ne concernera aucun vol low-cost, touchera quelques vols à destination de hubs européens. Quelques euros sur un billet de plusieurs centaines d’euros n’aura évidemment aucun effet incitatif. Ne touchant pas les vols low-cost européens, cela ne favorisera pas davantage un transfert modal au bénéfice du train.
Ajoutons que rien n’est prévu sur les vols saut de puce et autres vols de positionnement que nous dénonçons, rien sur les vols privés, rien sur les vols de fret. Bref, ce gouvernement n’a semble-t-il rien à proposer sinon une taxe gadget sur un enjeu majeur qui est celui de la limitation des émissions de CO2 liées au trafic aérien qui connaît pourtant une croissance très importante.
En conclusion
Les formations de gauche peuvent-elles affirmer que sans elles ce serait pire ? Sans doute. On ne retrouve pas avec la Vivaldi la brutalité sociale du gouvernement MR-NVA de Charles Michel. Pour autant, la tonalité globale de ce gouvernement n’en reste pas moins majoritairement marquée au centre droit, et son action est absolument insuffisante au regard des enjeux actuels.
Socialement, les inégalités continuent de se creuser dans ce pays et la flexibilisation du marché du travail annoncée (notamment pour l’e-commerce) va renforcer cette situation. Ecologiquement, nos engagements climatiques (55% de diminution des GES en 2030 qui sont ceux de l’UE) semblent totalement théoriques alors que l’on ne voit aucune impulsion publique d’envergure susceptible de réduire massivement notre dépendance aux énergies fossiles. Démocratiquement, la gestion de la crise covid avec au sommet de l’iceberg le très contesté (et contestable) projet de “loi pandémie” est le symbole d’une réponse peu démocratique à une désagrégation de notre société et d’une perte de confiance croissante à l’égard des gouvernants.
Une gauche au pouvoir qui valide une politique régressiste socialement. Une écologie au pouvoir qui valide des mesures anti-écologiques. Une démocratie qui recule. Tout cela ne fait que déboussoler les électeurs progressistes qui ne retrouvent pas ce pour quoi ils ont voté dans l’orientation politique générale de la Vivaldi.
Si nous étions cyniques ou boutiquiers, nous nous réjouirions de cette situation. Ce n’est pas le cas et elle nous inquiète dès lors au plus haut chef.