“N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant”, écrivait Simone de Beauvoir.

À l’heure où j’écris ces lignes, une tempête a éclaté aux États-Unis qui confirme, si tant est que ce fût nécessaire, cet élémentaire rappel à la vigilance.

Suite à une fuite inédite, des documents préparatoires de la Cour Suprême ont été diffusés. Un premier jet d’arrêt ayant pour but d’annuler l’ordonnance “Roe vs Wade” qui, en 1973, avait établi la protection par la Constitution du droit à l’avortement. Le système de common law le permet et une Cour Suprême majoritairement conservatrice a été saisie du sujet par l’Etat du Mississipi.

Tout au long des 98 pages du document – qui peut encore être modifié jusqu’à juillet- , l’argumentaire est effarant. Pour prouver que non seulement le droit à l’avortement n’est pas inscrit dans la Constitution et ne peut être protégé par le 14ème amendement, mais constitue également un crime, les rédacteurs sont allés chercher jusque dans des corpus jurisprudentiels anglais du 13ème siècle ou des traités de droit du 17ème. Non, vous ne rêvez pas. Car tout le raisonnement utilisé pour faire tomber “Roe vs Wade”, c’est que ce dernier arrêt était basé sur une interprétation fallacieuse. Et quoi de mieux pour corriger celà qu’une… Interprétation fallacieuse? Fallacieuse et longuissime. 98 pages. NONANTE-HUIT. Toutes chargées de démontrer que le droit à l’interruption volontaire de grossesse ne peut tomber sous le coup du 14ème amendement, voté en 1868 et qui établit constitutionnellement l’égalité des citoyens américains devant la loi, en l’occurrence l’égalité devant le respect de la vie privée.

Pour le juge Alito, notre corps, le corps de ses concitoyennes, ne relève pas de la vie privée. La liberté d’en disposer et de ne pas poursuivre une grossesse non-désirée – et ce quelle qu’en soit la raison – ne relève pas de la vie privée. C’est une question morale qui doit être laissée à l’appréciation des assemblées dans les Etats. Toute la Bible Belt frissonne. Haro sur les pécheresses!

Des projections font craindre que, dans le cas de l’annulation de “Roe Vs Wade”, ce sont 28 Etats – sur 50, qui interdiraient ou réduiraient drastiquement les capacités de recours à l’IVG. Ces mêmes Etats où l’organisation de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle dans les écoles est réduite à peau de chagrin, les conseils éducatifs tenus par des conservateurs qui considèrent que c’est aux parents de choisir quand et comment “parler des oiseaux et des abeilles” à leur progéniture. Avec comme résultat un taux record de grossesses d’adolescentes. Ces même Etats dont les représentants freinent des quatre fers à l’idée de l’instauration d’une loi fédérale sur le congé parental. Ces Etats où l’enfant à naître est à protéger, mais pas sa mère. Où ce seront les femmes les plus précaires qui paieront l’addition, faute de pouvoir prendre des jours de congé, financer voyage et frais médicaux dans les Etats où le droit à l’IVG sera maintenu.

Tout ceci parce que la Cour Suprême et son aréopage de conservateurs aura argumenté que ce choix intime, reposant sur autant d’histoires que de femmes, ne relève pas de la protection constitutionnelle de la vie privée.

Et l’on entendra, ou lira, que dans le monde occidental, l’égalité est atteinte et ne sera pas remise en question. Que les féministes peuvent baisser la garde. Or rien n’est jamais acquis et c’est un terrible signal qui nous est envoyé depuis Outre-Atlantique. N’oublions pas que les négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral en Belgique ont nécessité la mise au frigo de la sortie de l’avortement du code pénal, pour en faire ce qu’il aurait toujours dû être: une question de santé publique, à l’instar de tout ce qui touche à la santé reproductive et génésique. N’oublions pas que l’influence de l’Eglise catholique est telle dans certains Etats de l’Union Européenne que des restrictions draconiennes à ce droit ont été adoptées, comme en Pologne, ou qu’il y est toujours interdit, comme à Malte.

N’oublions pas que tout a été conquis, que ces conquêtes sont à protéger et que la vigilance sera toujours de mise. Ici comme ailleurs. Parce que la solidarité entre toutes et tous ne doit pas être un vain mot.

Virginie GODET

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