Le jeudi 22 février, l’infraction pénale d’ « atteinte méchante à l’autorité de l’État » (article 548 du nouveau Code pénal) a été adoptée par la Chambre des représentants, les députés fédéraux assumant ainsi le risque de criminaliser certaines formes de protestation sociale et politique au sens large, plus particulièrement « la désobéissance civile » et les appels à celle-ci.

L’abandon du projet de loi « anticasseurs », à la suite notamment d’une forte mobilisation des organisations syndicales et d’autres associations sous la bannière « Manifestant. e. s, pas criminel. le. s », n’a
constitué qu’un bref répit dans la tendance grandissante, partout dans le monde, à la criminalisation des mouvements sociaux en général et au détricotage assumé du droit à la liberté d’expression.

Une carte blanche publiée le 15 février dernier et signée par plus de 500 personnes principalement issues du monde associatif, universitaire et judiciaire, de même que l’Institut fédéral des droits humains (dans un avis en octobre 2023), soulignaient les risques pour la liberté de manifester et la liberté d’expression et demandaient aux parlementaires de ne pas inclure cette infraction dans le Code pénal.

1. Le caractère antidémocratique

La désobéissance civile constitue un moteur essentiel dans toute société démocratique, particulièrement lorsque les autres voies légales et politiques de protestation sont épuisées. Ceci est d’autant plus vrai lorsque le principe de l’État de droit est fragilisé – comme c’est le cas actuellement en Belgique à la suite du non-respect par l’État des décisions de justice prononcées par milliers dans le cadre de la crise de l’accueil, l’extradition de Nizar Trabelsi vers les U.S.A. ou encore, plus récemment, celle de l’intégriste Salah Abdeslam vers la France.

La désobéissance civile a souvent rendu possible la conquête ou l’amélioration des droits fondamentaux (abolition de l’esclavage, vote des femmes, fin de la ségrégation raciale aux États-Unis, droits protecteurs
des travailleurs, etc.).

2. Le champ d’application particulièrement large et le risque d’arbitraire

« Cet article permettrait ainsi d’incriminer des organisations, des collectifs ou des individus qui œuvrent pourtant pour le respect de la liberté d’expression et d’autres valeurs fondamentales dans notre société. Dans ce sens, l’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH), une institution publique indépendante, créée et financée par la Chambre des représentants, a alerté sur un risque d’utilisation de cette infraction pour criminaliser certaines formes de protestation sociale 9 . » [Carte blanche]

Les termes extrêmement généraux et vagues de ce nouvel article du Code pénal posent question au regard de différences de traitement arbitraires qui pourraient voir le jour, « comme en attestent les différences de
traitement entre militants syndicaux et agriculteurs par rapport à l’entrave méchante à la circulation, ce risque n’est pas uniquement théorique. » [Carte blanche]

3. Cet article est inutile

« La désobéissance civile est couverte par la liberté d’expression qui est garantie par des textes internationaux, européens, régionaux et nationaux […] celle-ci peut être limitée, mais uniquement dans des cas spécifiques, comme l’incitation à la haine ou à la violence. Or ceux-ci sont déjà sanctionnés par le Code pénal […] »

« Il est déjà arrivé que des lois votées pour faire face à un contexte donné finissent par être utilisées dans un contexte totalement différent, pour lequel elles n’ont pas été initialement prévues. Ainsi, plus la rédaction d’un texte est floue et large, plus le risque est grand qu’il soit détourné de son objet. En témoigne l’utilisation de l’infraction d’entrave méchante à la circulation contre des responsables syndicaux ou l’utilisation de l’infraction d’intrusion dans les zones portuaires utilisée contre les activistes écologistes de Greenpeace, alors même que les débats parlementaires s’étaient montrés rassurants quant au fait que ces situations seraient exclues de leur champ d’application. » [Carte blanche]

4. Conclusion

Thierry Bodson (F.G.T.B.) avait dit : « Si la loi anticasseurs est votée, il y aura un avant et un après avec le PS et Ecolo ». Message bien reçu puisque la peine subsidiaire d’interdiction de manifester a été retirée de la loi visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme (et qui avait été rebaptisée loi anticasseurs par les organisations qui contestaient cette peine subsidiaire).

Mais à présent, il y a cet article 548 introduit dans le nouveau Code pénal. Ce dernier, heureusement, contient aussi des aspects positifs sur lesquels nous reviendrons à l’occasion.

Au-delà du syndicat socialiste, ce sont des organisations actives dans le domaine des droits humains, de la santé, de la famille, du travail, etc., mais aussi des avocats et des professeurs de plusieurs universités qui
avaient pourtant invité les parlementaires à ne pas voter cet article 548.

Quelles sont les raisons qui ont poussé le PS et Ecolo à adopter cette nouvelle infraction qui comporte des risques importants pour la liberté de manifester et la liberté d’expression ? Un débat doit être engagé avec
eux !

Pour le Mouvement Demainqui avait déjà souligné que le droit de manifester est une pierre angulaire de la démocratie –, il y a bien un avant et un après, du moins avec les députés fédéraux qui ont voté ce point
de la réforme. Ne nous résignons pas pour autant ! La résistance se poursuivra tant du point de vue politique lors des prochaines élections qu’à l’occasion des procédures judiciaires qui seront entamées.

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