Commenter l’actualité de la Palestine en 2021 sans faire un retour en arrière n’a pas plus de sens que lors des événements dramatiques précédents. Ce qui se passe aujourd’hui n’a pas commencé il y a quelques semaines à Cheik Jarrah mais remonte à bien plus loin.

Sans remonter jusqu’aux premiers achats de terre en Palestine par le baron Rothschild à la fin du XIXe siècle, il faut au moins remonter à la Nakba, la catastrophe en arabe, qui s’est abattue en 1948 sur le peuple palestinien, qui n’avait rien demandé.

La partition de la Palestine à l’initiative de l’ONU, contre l’avis de la population locale, a rapidement conduit les colons juifs à bousculer ces locaux, jusqu’à provoquer l’exode de près de 800.000 personnes, qui espéraient pour la plupart regagner leurs villes et villages dès que le calme serait revenu.

Non seulement, cela n’a jamais été possible, mais vingt ans plus tard, les colons, désormais israéliens, se sont emparés du reste de la Palestine, provoquant au passage un deuxième exode des populations locales.

Depuis 1948, les Palestiniens ont été soumis à un régime colonial qui a instauré l’apartheid entre Israéliens juifs et la population d’origine.

Malgré l’accord dit d’Oslo en 1993, pratiquement rien n’a changé sur le terrain. On a octroyé au peuple palestinien un semblant d’autorité locale qui n’a jamais pu que gérer la pénurie et collaborer avec l’occupant sur les questions dites « de sécurité ». En fait, le peu de choses dont disposaient les Palestiniens, notamment leurs terres et leurs maisons, a continué d’être grignoté par les colons.

C’est notamment le cas à Jérusalem, tant dans les lieux « saints » que dans les quartiers arabes. Comme Silwan, Cheik Jarrah est emblématique de cette emprise progressive. Des bandes de colons, souvent religieux d’extrême droite, s’emparent peu à peu de maisons dont ils chassent les occupants à la pointe de leurs armes automatiques, sous le regard bienveillant de la police et des Forces de « défense » israéliennes.

Les dernières de ces exactions quotidiennes ont eu lieu à la fin du mois de ramadan. Contrairement à l’habitude, les habitants menacés par les milices de colons ont bénéficié du soutien actif de nombreux concitoyens de Jérusalem. Pour une fois, la violence quotidienne du colonisateur a brièvement retenu l’attention du monde. Dans la foulée, alors que des musulmans tentaient de rejoindre la mosquée d’Al Aqsa pour la dernière grande prière du mois, des bandes de colons armés, secondés par les forces de « l’ordre » israéliennes, s’en sont violemment pris à eux. Ce fut l’étincelle.

Il faut évidemment situer ces incidents dans le contexte électoral tant des Israéliens que des Palestiniens. Après quatre scrutins rapprochés en Israël, aucune majorité n’a encore pu être trouvée. En attendant une hypothétique coalition, ou un nouveau scrutin, Netanyahou reste au pouvoir, et hors de portée des tribunaux en ce qui le concerne personnellement. Une situation de crise lui est donc hautement favorable. Du côté palestinien, c’est aussi le blocage. Les dernières élections, en 2006, avaient révélé une emprise grandissante du Hamas en Cisjordanie et une majorité au total. Ces résultats ont été « niés » tant par les Israéliens que les Américains. Le Conseil législatif palestinien a donc de facto cessé d’exister. Depuis, le Hamas a renforcé son contrôle sur la Bande de Gaza tandis que les vestiges de l’OLP et du Fatah de Yasser Arafat sont restés aux manettes de ce qu’il devient de plus en plus difficile d’appeler « l’Autorité » palestinienne en Cisjordanie. Leurs dirigeants aux abois, se réfugiant derrière des arguments de procédure douteux, ont reporté sine die les élections. Il devenait donc possible pour le Hamas d’en profiter pour montrer leur leadership dans la résistance à l’occupant israélien.

Le Hamas a donc vite saisi l’occasion en donnant aux Israéliens un ultimatum les enjoignant de quitter l’Esplanade des mosquées dans l’heure. Le gouvernement de Netanyahou a bien entendu refusé de céder, donnant au Hamas l’occasion de mettre sa menace à exécution et tirer ses premières roquettes. L’Armée de « défense » israélienne, comme aiment à l’appeler ses soutiens, n’attendait que ce signal pour déclencher ses propres bombardements sur la Bande de Gaza. L’issue « militaire » de cet affrontement n’intéresse pas ses protagonistes, tellement elle est évidente vu les moyens disproportionnés dont disposent les parties en présence. Seul le bénéfice politique leur importe.

Pour Netanyahou, comme dans le passé et comme avant lui ses prédécesseurs, le bénéfice est immédiat : le chef de guerre se pose en défenseur de la patrie face à l’agression des Palestiniens toujours aussi dangereux pour la survie d’Israël (depuis 73 ans…) Cela devrait lui donner un répit dans ses déboires électoraux.

Du côté des Palestiniens, il est clair que vu la passivité, structurelle, de l’Autorité végétant à Ramallah, le Hamas apparaît maintenant comme le seul mouvement structuré résistant à l’occupant annexionniste. Ses dirigeants doivent être pleinement satisfaits.

On peut se demander si les Israéliens n’auraient pas plus à craindre de ce mouvement islamiste  que des moutons de Ramallah. Il n’en est vraisemblablement rien. Comme le déroulé brutal des opérations le montre jour après jour, les Israéliens peuvent se permettre tout et n’importe quoi pour démontrer leur capacité à « gérer la situation ». Alors que les roquettes tirées depuis la Bande de Gaza tombent au hasard sur Ashkelon et Tel Aviv, les Israéliens démontrent qu’ils peuvent détruire des immeubles bien précis dont, comble de cynisme, ils préviennent les occupants par téléphone. On voit aussi la cruauté qui les anime en constatant que les bombardements dont ils vantent avec raison la précision ont atteint des écoles, des hôpitaux et le seul centre de vaccination contre le covid. Toujours pas de vrai danger de côté-là donc, mais le bénéfice politique pour l’avenir est évident. En faisant en sorte que les héritiers de Yasser Arafat soient désormais sur la touche, le gouvernement israélien (composé de partis de droite extrême et d’extrême-droite) peut montrer au monde entier que leur ennemi palestinien est une bande de fanatiques islamistes, un Daech bis. On en viendrait presque à pleurer sur leur sort et leur envoyer les F-16 belges pour les seconder comme on a fait en Syrie.

Les perspectives pour l’avenir sont donc plus sombres que jamais. Le seul événement positif sorti des violences de ces derniers jours est l’implication nette de nombreux Palestiniens israéliens qui manifestent, enfin, contre le sort qui leur est fait en deçà de la ligne d’armistice de 1949. L’apartheid que la plupart subit depuis l’occupation brutale de leur pays devient enfin perceptible pour les observateurs extérieurs. Nous avions hélas vu juste lorsque nous écrivions en 2017 que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis de Donald Trump ne rendrait pas Israël, la région ou l’humanité plus sûre.

Les Américains restent la seule puissance à même de jouer un rôle dans cette interminable tragédie. L’attitude de Biden montre clairement que ce ne sera pas encore cette fois-ci qu’ils interviendront pour faire cesser la violence induite par leur allié, seul pouvoir colonial encore en place au Proche-Orient. Pauvre Palestine.

Pour tout le Proche-Orient, le Mouvement Demain est favorable au droit à l’autodétermination des peuples, à la fondation d’États républicains, universalistes et laïques en opposition totale à des revendications d’exclusivité ethno-communautaire ou religieuse, à la démilitarisation et la dénucléarisation de l’ensemble régional dans le respect des souverainetés nationales, avec, en parallèle, la montée en puissance d’une ONU réformée ainsi que ses différentes agences en faveur de la paix, de la sécurité et du développement économique harmonieux.

Encore une fois, les diplomaties belge et européenne ont montré leur incapacité à intervenir significativement quant à cette situation, pourtant bien connue depuis des décennies.

Une analyse du Mouvement Demain

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