BPost a annoncé fin avril son intention de supprimer plusieurs centaines d’emplois et de recourir à des sous-traitants pour plusieurs tâches (notamment le nettoyage et la restauration). Ceci n’a malheureusement rien de neuf ni d’étonnant. Fin 2016, BPost comptait 23.708 équivalents temps-plein (ETP), contre 40.024 fin 2003. En moyenne, ce sont donc pas moins de 1.250 ETP qui ont été perdus chaque année. C’est une casse sociale sans équivalent dans notre pays. Par ailleurs, la qualité de l’emploi s’est massivement détériorée chez BPost. Des distributeurs précaires ont été embauchés avec des contrats de « réactivation » d’une durée de 6 mois renouvelables 3 fois. BPost a également de plus en plus recours au travail intérimaire. Enfin, les plans Géoroute visant à un durcissement des méthodes de comptages et des normes afin d’augmenter la pression et la charge de travail se succèdent.

Evolution du bénéfice net de BPost

La libéralisation du secteur postal et la baisse (réelle) du volume de courrier ne constituent pas un contexte idéal mais l’explication selon laquelle cette dégradation des conditions de travail et cette baisse massive du nombre d’emplois s’expliqueraient uniquement par ces éléments ne tient pas la route. Dans son ensemble, l’activité de la poste ne faiblit pas, et le chiffre d’affaire de BPost a même crû de près de 15% en dix ans. BPost a par ailleurs réalisé depuis 2005 un bénéfice opérationnel normalisé en croissance quasi constante. Il s’élevait à pas moins de 329.3 millions d’euros en 2017 soit le plus élevé jamais réalisé par l’entreprise. Quant à son EBITDA normalisé (c’est à dire les revenus avant soustraction des intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations) soit le profit réellement généré par l’activité des travailleurs de l’entreprise, il est passé de 147,9 millions d’euros en 2005 à 586,9 millions d’euros en 2016. C’est une croissance de près de 300% !

BPost est une entreprise plus que rentable. Cette année, alors que de nombreux doutes existent sur sa stratégie commerciale et que l’action a perdu près d’un tiers de sa valeur en Bourse, la direction prévoit de ne pas baisser les dividendes versés aux actionnaires lesquels seront de l’ordre de 8%.

Son souci est qu’elle n’est plus une entreprise de service public mais une entreprise capitaliste classique concentrée exclusivement sur deux objectifs : croître et rémunérer davantage ses actionnaires. Pour ce qui concerne cette croissance, BPost a multiplié les achats aux quatre coins du globe (Pologne, Etats-Unis, Australie,…). Elle s’est ensuite lancée à la recherche d’un « gros poisson ». Après avoir tenté en vain de racheter PostNL pour plus de 2 milliards d’euros, elle a jeté son dévolu fin 2017 sur Radial, un acteur américain spécialisé dans l’e-commerce. Il s’agit d’un investissement risqué de plus de 700 millions d’euros, un investissement non générateur d’emploi local et très éloigné de la mission de distribution du courrier et des colis sur le territoire national. Que BPost tente de diversifier son activité sur le territoire national serait potentiellement une bonne chose. Service bancaire de proximité, distribution « zéro émission », postes de proximité, les projets utiles à la collectivité ne manquent pas. Mais tel n’est pas le choix opéré. La stratégie de BPost est désormais gérée à l’aune des bénéfices potentiels et plus du service à la population. CVC le fond d’investissement auquel la poste a été revendu pour moitié en 2005, aura par exemple empoché en 8 ans pas moins de 2.1 milliards d’euros pour un investissement total de 523 millions d’euros. Ceci représente plus de 4 fois sa mise totale et donc un retour sur investissement annuel de plus de 50%.

Les travailleurs ne sont pas les seuls à payer le prix de cette folie. Pour les usagers de BPost, le bilan depuis la privatisation en 2005 est tout simplement catastrophique. La moitié de nos bureaux de poste ont été fermés (650 au total), le prix du timbre a augmenté de plus de 80%, le service rendu par les distributeurs peu formés et sommés de courir pour tenir les cadences infernales qui leur sont imposées n’a rien de commun avec celui du facteur jadis,… De l’aveu même de la direction de BPost, à titre d’exemple, la fermeture des bureaux de poste a permis d’économiser 75 millions d’euros. C’est 28 fois moins que ce que CVC a empoché ! Et début mai la direction est repartie à l’offensive réclamant une nouvelle hausse du prix du timbre (en 2017 l’IBPT y avait mis un coup de frein). L’objectif est clair : maintenir des profits les plus élevés possibles.

Ce qui se déroule sous nos yeux, est la démonstration crue de l’échec des processus d’autonomisation initiés en 1991 par le gouvernement Martens IX et singulièrement les ministres socialistes (Louis Tobback et Marcel Colla) en charge du dossier. On a cru sauver la poste, on l’a simplement transformée en société privée classique. La droite (en particulier l’Open VLD enferré dans son dogmatisme ultralibéral) propose d’aller au bout de cette logique et de privatiser totalement BPost. Une loi en ce sens a été votée et malgré un recours au conseil d’Etat déposé par « Sauvons le Public », n’a pu être stoppée. Sur les bancs socialistes, on est au mieux partisan d’un statu quo. Mais qui dans les partis traditionnels ose admettre que la privatisation est incompatible avec l’idée même de service public ? Qui signale qu’il est inacceptable que l’Etat dote chaque année d’environ 300 millions d’euros une entreprise qui réalise de tels bénéfices et néglige à ce point ses missions de service public ? Personne.

Sans un retour à un véritable service public postal, modernisé mais soucieux d’un service de proximité de qualité, et au niveau européen un retour sur la libéralisation du secteur, la déglingue va se poursuivre. Et demain, nous encourons des risques de faillite exactement comme dans le secteur bancaire. Ce dont il est question est un réel changement de paradigme, il nécessite d’admettre que tout n’est pas marchandise, que la notion de bien commun a un sens.

Analyse du Mouvement Demain validée par son Comité Fédéral le 10/5/2018

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