Oui, encore… sur l’IVG, notamment, mais au-delà, sur les droits des femmes à disposer librement de leur corps, sur leurs droits à la santé génésique, reproductive, sur leurs droits à choisir librement d’être mère ou de ne pas l’être. Si cette voie peut être celle d’un épanouissement personnel pour certaines, elle ne le sera pas pour d’autres. Or c’est de cette possibilité offerte collectivement à toutes de s’épanouir chacune personnellement qu’il s’agit.

Voici les informations qui nous parviennent d’Amnesty International  (je cite in extenso):

Le 14 octobre, Justyna Wydrzyńska, défenseure des droits humains polonaise, comparaîtra devant le tribunal de Varsovie, pour une troisième audience dans l’affaire la concernant. Elle est accusée d’avoir aidé une femme à avorter en 2020 et de détention de médicaments sans autorisation « dans le but de les introduire sur le marché”. C’est la première fois en Europe qu’une militante est poursuivie pour avoir aidé à un avortement en fournissant des pilules abortives.

Elle encourt 3 ans de prison, une peine lourde et injuste qui relève d’une tentative choquante et délibérée d’entraver les activités légitimes des défenseur·es du droit à un avortement sécurisé en Pologne.

Au sein même de cette Union européenne qui se veut championne de l’égalité entre les femmes et les hommes, élève modèle et donneuse de leçons au monde entier, mais où les citoyennes ne sont pas égales entre elles.

L’histoire de la régression du droit à l’IVG en Pologne, de la régression des droits des femmes en Pologne a plus de trente ans. Alors que tombait le mur de Berlin et que s’effondrait le bloc de l’Est, dans certains pays l’Église s’engouffrait dans la faille pour reprendre le terrain perdu. Et ce terrain perdu, c’était notamment les corps des femmes. Le droit à l’IVG, qui y était garanti jusque dans les années 90, fut grignoté petits bouts par petits bouts, jusqu’aux derniers coups de sape. Aujourd’hui, c’est une défenseuse des droits humains qui fait l’objet, ne nous y trompons pas, d’un procès politique, et ce malgré un soutien international important…

Et je me souviens… Je me souviens qu’en 2007, avec Féministes pour une Autre Europe, nous dénoncions déjà ces risques. A l’époque, l’État polonais avait été poursuivi devant la Cour européenne des Droits humains, pour avoir empêché Alicjia Tysiac d’avoir recours à une IVG, alors même que sa troisième grosses risquait de la rendre aveugle. Il y avait risque pour la santé de la mère… Mais cela, pour les médecins qu’elle avait consultés, ne comptait pas. La grossesse avait été menée à terme, Alicjia était devenue aveugle. Elle avait voulu poursuivre l’équipe médicale, ce qui lui avait été refusé par les autorités judiciaires polonaises.

Le retentissement de l’affaire fut limité. Beaucoup faisaient confiance aux progrès qui seraient apportés par l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne et au précédent que le jugement de la Cour européenne des Droits humains créait. Il n’en fut rien. Cependant, le mouvement de solidarité envers les femmes polonaises a grandi, s’est développé, constatant que les choses ne faisaient qu’empirer.

Les lois concernant l’IVG en ont encore restreint l’accès, désormais celle-ci n’est plus autorisée qu’en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la mère. Mais même cette dernière condition n’est pas  respectée par les équipes médicales. Des cas gravissimes de refus, ayant entraîné la mort de femmes suite à des chocs septiques ont soulevé un mouvement social massif alors même que le pays était en confinement. On parle d’un million de personnes dans les rues de Varsovie en 2020, mais également de manifestations dans des zones rurales ayant pourtant connu un vote important pour les conservateurs au pouvoir.

Á présent, alors que les conservatismes, l’extrême-droite, montent en force au sein de lUnion, les droits des femmes sont de nouveau menacés. Crises après crises, ils sont rabotés. En Pologne, nous le savons, mais ils sont tout autant menacés en Hongrie, en Italie, même dans ces pays scandinaves qui, il y a peu, semblaient un modèle en termes d’égalité.

Bien entendu des choses se mettent en place, des réseaux de solidarité. En Belgique, des budgets sont alloués pour que les femmes polonaises souhaitant avoir recours à une IVG puissent venir le faire dans des conditions saines et sécures. C’est très une bonne chose. Mais la pénurie de médecins pratiquant l’avortement pointe le bout de son nez parce que son enseignement n’est pas garanti dans le parcours de formation des étudiants, hormis dans celui des gynécologues obstétriciens. Or c’est un acte qui peut être pratiqué par un.e généraliste, mais cela reste un acte militant. La difficulté dans ce cas n’est pas une question de droit, mais bien purement pragmatique.

Et il ne faut pas oublier que les femmes qui font le choix d’avorter doivent pouvoir, si elles le souhaitent, être accompagnées moralement, psychologiquement, que cela soit rendu nécessaire par les conditions qui ont mené à la grossesse ou celles qui ont mené au choix. Non, ce n’est pas toujours un drame, mais cela peut l’être. Le vécu de chacune n’a pas à être jugé, toutes ont à être accompagnées selon leurs besoins.

Au bout du compte, les choses sont assez simples : « Mon corps, mon choix, ma liberté ».

Liberté de choisir de ne pas devenir mère.

Liberté de choisir de le devenir, et quand.

Liberté de choisir de ne renoncer à rien sur le chemin de son accomplissement en tant que personne, en tant qu’individu.

A nous, en tant que société, de donner à toutes et à chacune les moyens collectifs de se réaliser en tant que personne. A nous de construire cette société où, selon la formule magnifique de Rosa Luxemburg, les individus seraient « socialement égaux, humainement différents, tous libres ».

Une opinion de Virginie Godet

Illustration: Karolina Grabowska

 

 

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