Le roman aurait pu s’appeler cinquante mille nuances d’avions, tellement les protagonistes y prennent des claques.  Dans ce feuilleton, deux camps s’affrontent.  D’un côté, ceux qui sont tournés vers un avenir durable, sur une planète durable avec des emplois durables et socialement justes.  De l’autre, les « no-limit » prônant une expansion à tout va pour satisfaire le portefeuille des grandes multinationales qui menacent de ne plus jouer sans de nouveaux joujoux.

Et entre les deux, il y a eu au mois d’août, deux courageux fonctionnaires et un compromis.  Et bien sûr, comme tout bon compromis, personne n’était heureux.

Et l’histoire recommença avec des vidéos publicitaires payées par les pouvoirs publics pour les uns, et un affrontement par presse interposée pour les autres.  Finalement, un nouveau compromis qui est très clairement en défaveur de nos bonnes résolutions de polluer moins, d’acheter local, de produire local, bref, un compromis qui fait la nique aux riverains, aux environnementalistes, et au social se retrouve sur la table de nos ministres.

Et bien, notamment au MR, cela ne semble quand même pas suffisant.  Et voici que le Ministre Borsus sort dans la presse pour dézinguer la limite des 50.000 vols en bidouillant honteusement les chiffres pour faire croire que tout développement est compromis avec l’actuel compromis. Premièrement, il feint de confondre le nombre total de vols, y compris de tous petits avions, avec la limitation imposée qui ne concerne que les avions de plus de 34 tonnes. Et deuxièmement, il oublie totalement que l’évolution ne concerne pas seulement le nombre d’avions mais également leur gabarit, lequel ne cesse de croître.

Le permis d’août (appelons-le comme ça) avait deux avancées qui sont autant d’axes de contestation pour nos protagonistes de l’aéroport : La limitation à 50.000 mouvements par an des avions de plus de 34 tonnes et la diminution du bruit sur 20 ans à partir du niveau de 2023.  Sur le bruit, la nouvelle mouture prend 2021, année record comme référence, et amoindrit largement la diminution imposée.  Retirer les gros avions les plus polluants (typiquement les Boeing 747-400) permettra sans problème de relever le « défi ».  Sur le nombre de mouvements, pour rappel, nous avions en 2021 environ 38.000 mouvements de plus de 34t sur l’aéroport pour 1.4 million de tonnes de fret.  Une petite règle de trois et nous voilà avec 50.000 mouvements à plus de 1,8 million de tonnes.  À cela il faut ajouter le Fret transporté par les avions de moins de 34 tonnes qui passent sous les radars et ne sont pas comptabilisés, et les 172 mille tonnes de fret par rail (chiffre 2021).   Cette « limitation » donc de 50.000 mouvements, permet d’accroître la capacité de l’aéroport de plus de 400.000 tonnes annuelles, soit plus de 30% a minima.

Un accroissement cargo de 30% est-ce vraiment intenable ?  Je rappelle au besoin que nous vivons sur une planète où il est impossible de construire des annexes ou de nouveaux étages.  Nous vivons dans un monde fini, avec des ressources que nous surexploitons déjà depuis bien trop longtemps.  Je rappelle aussi que des revues spécialisées pointent déjà le début de la fin du cargo aérien.  Je crains bien que si on suit la logique de nos ministres, nous ayons en 2035 un monstre d’aéroport en friche.  Notre passé de sidérurgie devrait pourtant nous rendre plus prudents sur une vision d’un choix unique à long terme dans un secteur en perdition, extrêmement concurrentiel, et à contre contre-courant de ce que nous devrions faire.

Quant au chantage du célèbre : si ce n’est pas ici ce sera ailleurs.  Je rappelle quand même que des militants, il y en a heureusement partout.  Que les Pays-Bas ont été condamnés pour non-action climatique, que des militants français ont empêché la construction d’un aéroport. Si ce n’est pas ici, ce ne sera très probablement nul par ailleurs !  Rappelons aussi que les autres aéroports ne sont pas tous ouverts la nuit, ne sont pas tous équipés cargo, n’ont pas tous une piste assez grande pour les B747, et que beaucoup ont des normes de bruit bien plus strictes.  À une exception près en Europe, Bierset est unique, et donc non, ils n’iront pas ailleurs sauf si c’est déjà écrit dans leur master plan, de prendre l’argent wallon et ensuite partir avec comme excuse ce fameux nouveau permis.

Il reste encore quelques jours, j’ose espérer que les nuits porteront conseil, enfin si nos ministres ne dorment pas à proximité de l’aéroport bien sûr.

Luc Joachims

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