À l’heure où la Belgique compte un nombre important de décès liés au coronavirus, le kern élargi prend des mesures insuffisantes et critiquables. La vie ou l’économie ? Le gouvernement Wilmès semble avoir fait ses choix : flexibilisation du temps de travail, foire aux CDD, recours au travail des étudiants et des migrants au mépris de la concertation sociale. Place aux commentaires du Mouvement Demain sur ces nouvelles mesures du 11 avril 2020.

 

Flexibilisation du travail et défiscalisation des heures supplémentaires : une mise en danger de la société et une double peine pour la sécurité sociale

Le Mouvement Demain conteste la décision de défiscaliser les heures supplémentaires (presque au double!) dans les secteurs dit « critiques ». Cette réponse néolibérale à la crise, est un pas de plus vers l’élargissement de ce qu’avait enclenché la loi Peeters. En effet, les employeurs ont plutôt un avantage financier à recourir aux heures supplémentaires « volontaires » qu’à embaucher de nouveaux salariés. En généralisant, les salariés effectuent un nombre total d’heures supplémentaires qui justifieraient l’embauche d’un salarié supplémentaire, au moins à temps partiel. Par conséquent, les salariés qui se retrouvent à travailler trop finissent en arrêt maladie. C’est là que réside la double peine pour la sécurité sociale : une réduction de dépenses en cotisations patronales (du fait de l’évitement à l’embauche), d’une part, et une augmentation des burn-outs (du fait de la surcharge de travail), d’autre part.

Dans le contexte actuel, il est complètement insensé d’approfondir cette défiscalisation : combien de salariés sont aujourd’hui devenus sans emploi et combien n’ont pas droit au chômage temporaire ? Tous ceux-là seront privés d’un nouvel emploi en partie à cause de cette défiscalisation des heures sup’, tandis que ceux qui travaillent seront broyés par l’engrenage de la flexibilisation. (Sans compter que ces derniers ne seront même pas gratifiés d’un sursalaire pour leurs heures supplémentaires tant les employeurs ne sont pas dans l’obligation de payer un sursalaire – ce qui est illégal au regard du droit européen.) La course à la sacro-sainte création d’emplois trouve ici sa limite, dans toute la splendeur de son hypocrisie.

Dans cette suite illogique, le Mouvement Demain déplore tout autant l’assouplissement des horaires flottants car les secteurs dits « critiques » fonctionnent déjà à plein régime. Il va sans dire que le fait de surmener et surcharger ces salariés n’a rien de bon pour leur immunité, ni pour le reste de la population. En outre, en offrant la possibilité de cumuler de manière successive des CDD dans ces secteurs, on ajoute encore une couche à l’insécurité à l’emploi. Ce gouvernement qualifie ces travailleurs de héros, tout en leur plantant directement un couteau dans le dos.

Au demeurant, la question de la définition des secteurs dits « critiques » devait être impérativement soumise à un débat démocratique, pour contrer la définition productiviste et néolibérale de l’actuel gouvernement et pour réorienter les investissements. Pour le Mouvement Demain, ce sont les secteurs essentiels au bien-être collectif et à la transition qui devraient être largement et fermement soutenus.

 

Les étudiant·es, les migrant·es, les soignant·es : tous·tes au front !

Après avoir accéléré l’accès au chômage temporaire pour les travailleurs salariés, élaboré une formule de soutien aux artistes, mis en place un revenu passerelle pour les indépendants – mais pas tous -, le Mouvement Demain se demande pourquoi nos gouvernements n’aident pas les étudiants-travailleurs. Ces derniers sont initialement dans une situation socio-économique difficile qui les contraint à travailler, amenuisant par là même leur chance de réussite. Le Mouvement Demain invite les organisations représentatives des étudiants et des salariés à exiger du gouvernement un « revenu passerelle » aussi pour les étudiants dépendant d’un salaire pour vivre en l’absence de droit au chômage ou un droit au chômage temporaire exceptionnel.

Quant à la mesure concernant les immigrés et réfugiés : elle est d’une hypocrisie managériale inouïe. Cette société capitaliste ne les considère que comme une main-d’œuvre corvéable et expulsable à merci. Le Mouvement Demain réclame l’extension du droit au travail des migrants : définitivement et non circonstanciellement, immédiatement et non liée à un quelconque délai d’attente et à un quelconque domaine d’activité. Son application devrait prendre effet dès le dépôt de la demande d’asile au Service des Étrangers (et non pas seulement quand la demande est transmise au CGRA). Plus fondamentalement, les migrants devraient avoir les mêmes droits que les autres travailleurs, avec un contrat et un accès à la sécurité sociale. Les barèmes salariaux du secteur devraient être entièrement appliqués, et ce, sans dérogations. En plus d’être inégalitaire (tout le monde n’ayant pas la « chance » de pouvoir être embauché), la liaison entre le fait d’accepter un travail saisonnier et une garantie d’aboutissement de la procédure nous semble très douteuse et se situe hors du champ de l’application stricte de Convention de Genève. À l’instar du Portugal, et pour notre sécurité à tous (pour contenir la propagation, pour un accès aux soins de santé de toutes celles et ceux qui résident sur notre territoire), une régularisation temporaire et un accueil digne de tous les migrants devrait s’appliquer.

Enfin, le flou laissé autour des réquisitions de personnel de santé qui ne serait pas encore mobilisé dans la gestion de la crise nous laisse perplexe : de qui s’agit-il ? Dans quelles conditions ? Est-ce vraiment tenable ? Outre la dangerosité de réquisitionner du personnel déjà surmené et malmené depuis des années, cette mesure risque de mener à des erreurs médicales. Et sur le principe, le Mouvement Demain s’offusque que le gouvernement décide de réquisitionner des soignants et, dans le même temps, ne réquisitionne aucune entreprise textile ou pharmaceutique, aucune manufacture pour produire du matériel de protection sanitaire !

Mais il n’y a pas que ces décisions qui traduisent un manque de courage et de volonté de changer radicalement de cap…

 

Quid des autres mesures ?

Profiter du confinement pour faire passer des mesures de flexibilisation fourbes, c’est tout bonnement scandaleux. Doublé du désintérêt à prendre le taureau par les cornes et à réfléchir sérieusement à l’avenir, c’est tout simplement irresponsable. Alors, quid du reste ?

  • Nous saluons le gel de la dégressivité des allocations de chômage. Mais quid de la dégressivité des allocations de chômage d’avant et d’après-crise ? C’est le principe même de cette dégressivité qui pose question dans un cadre de chômage structurel important (singulièrement à Bruxelles et en Wallonie) et de non respect d’un droit au travail pourtant établi dans la DUDL.
  • Quid de l’interdiction du versement de dividendes pour toutes les entreprises aidées par la collectivité ? Dans un contexte qui va largement creuser le déficit public, le minimum est de lier les aides allouées au fait qu’elles ne se retrouvent pas in fine détournées en dividendes pour les actionnaires.
  • Quid de la mise en place d’un impôt de crise pour que les plus fortunés participent à l’effort collectif face à la crise économique qui est devant nous ? Par exemple, via une tranche de l’IPP supplémentaire pour les hauts revenus, ou un additionnel progressif à l’IPP au niveau régional comme cela est désormais possible suite à la dernière réforme de l’Etat.
  • Quid de la prise de contrôle publique d’une série de secteurs ? À commencer par le secteur pharmaceutique dont la gestion privée n’a pas permis une vision de long terme et des priorités basées sur la santé publique plutôt que les intérêts économiques de court terme.
  • Quid d’une remise en cause des traités de libre-échange qui ont rendu notre économie totalement dépendante de l’extérieur, et notamment de la Chine ? En la matière, le cas de la production des masques est patent. Et quid de la mise en place de nécessaires règles de protectionnisme social et solidaire afin de rendre notre économie plus stable et autonome ?
  • Quid d’une critique sévère de l’UE ? Il n’y a aucune coordination sur les règles sanitaires, aucune autre mesure que visant à la stabilité économique et à la perpétuation des logiques actuelles. Et quid de l’absence de solidarité entre États européens ?

Même si nous saluons le moratoire temporaire sur les faillites d’entreprises, car ce sont bel et bien les PME qui risquent le plus ; il n’en reste pas moins que la FEB se réjouit des nouvelles mesures tandis que les syndicats les déplorent, preuve que la question de la protection et de la qualité de vie des travailleurs passe au second plan. Le mythe d’un gouvernement travaillant de façon non partisane et dans l’intérêt commun s’estompe plus que jamais. Les conflits d’intérêts de nombre de nos ministres et de responsables de leurs cabinets issus de grandes entreprises sont de plus en plus saillants. Leur incompétence (comme dans la gestion de dossiers sensibles comme celui de l’approvisionnement en masques) éclate également au grand jour. La volonté première de nos dirigeants est de poursuivre avec le même modèle qu’avant la crise. Et elle sera demain si nous ne nous mobilisons pas d’en faire payer le prix à la population plutôt que de mettre à contribution prioritairement les plus fortunés et de s’attaquer aux inégalités sociales qui se sont creusées ces dernières années. Chaque jour, cette crise montre pourtant que « sans notre travail, leur capital ne vaut pas un balle »  comme l’affirmait avec justesse une célèbre banderole de la centrale syndicale MWB.

 

En conclusion, comme ces mesures le démontrent, le gros de la bataille qui va arriver est en train de se dégager. A rebours de la logique de perpétuation des dirigeants actuels, nous devons engager un bras de fer pour gagner sur le terrain du temps de travail et, plus largement, éviter le recul de tous les acquis sociaux durement gagnés ces dernières décennies. Dans ce contexte, loin des idées reçues du Mouvement Réformateur, en finir avec le mythe de la croissance s’impose comme une solution et une priorité pour la justice sociale et écologique car cela induit : une réduction et un partage du temps d’emploi, un ralentissement de la frénésie consumériste et non-essentielle, une revalorisation de la culture, etc. Le récit du « monde d’après» tel qu’énoncé par Macron ou Wilmès, qui regagnent le terrain de la popularité en jouant les capitaines de navire alors même qu’on doit à leurs choix une partie de la tempête, laisse un goût amer pour ceux qui y voient un guet-apens pour nos droits et nos libertés. La brèche est ouverte, même chez Ecolo qui parle, par exemple, d’une généralisation du télétravail qui est pourtant une fausse bonne idée écologique.

Si nous voulons que cette crise constitue un point de départ pour changer de cap et réimbriquer l’économie dans un projet de société de « l’humain d’abord », et non pour renforcer la logique néolibérale actuelle, il faudra lutter et veiller à ce que ces mesures ne deviennent pas la norme après la crise du covid-19, dont la fin prend des contours de plus en plus incertains.

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