Viens là, mon amour, viens…
Viens, j’ai mal à l’humanité ce soir.
Serre-moi, et laisse-moi te dire…
Te dire ce que j’ai vu aujourd’hui.
C’est tout ce que je possède, les mots. Les mots pour raconter.
Mais seront-ils assez justes, assez forts?
J’avais si peur d’y aller, si tu savais… Si peur… Voir toute cette détresse en face.
Peur de ne pas être à la hauteur de leur courage à ces femmes, à ces hommes qui ont fait ce choix, qui n’ont plus que cette arme: se laisser mourir pour pouvoir vivre.Simplement pouvoir vivre ici, comme nous, comme tout un chacun, avec les mêmes droits. Simplement pouvoir choisir une vie meilleure que celle qu’ils ont quittée. Et qu’ont-ils, qu’ont-elles trouvé ici?
Le silence…
L’obscurité…
Une vie à trimer pour une misère, dans le secret. N’être rien ni personne, et il y en a tant que ça arrange. Tous ceux qui trouvent si pratique cette main d’oeuvre-là, sans papiers, sans droits, sans moyen de se défendre, ou si peu. Réclamer serait se dévoiler. Parler serait se montrer. Se montrer, c’est risquer d’être refoulé.
Et s’ils, elles suivent la voie légale, c’est une foule d’obstacles auxquels ils, elles se heurtent. Comme si tout était fait pour les empêcher de vivre, ici, ailleurs que dans l’ombre et le silence.
L’ombre et le silence… C’est ce qui régnait dans l’église, aujourd’hui. L’ombre et le silence et la beauté des lieux. Et ces matelas, le long des murs, et ces corps allongés, des hommes et plus loin, à l’écart, cette zone des femmes où je n’ai pas osé entrer. En fait, j’osais à peine les regarder, ces gens. Je me sentais indécente, quelque part, à les regarder. Puis il est venu me parler. Un grand homme aux yeux verts, qui m’a raconté sa vie et son combat. Comment il avait vécu, ici, depuis 14 ans, de petits boulots en petits boulots, de démarches de régularisation en refus, les uns après les autres, jamais vraiment motivés. Et je me disais que chacune des 475 histoires, si différentes, devaient aussi être toutes les mêmes. L’obscurité, le silence, l’humanité bafouée jusqu’à n’en plus pouvoir. La révolte, enfin. Et, à bout de forces, l’arme de ceux qui n’en ont plus. Se laisser mourir pour gagner le droit de vivre.
Et la réponse fut le silence. L’obscurité. Presque 50 jours de grève de la faim, presque 6 mois d’occupation, là, dans cette église, et ailleurs. Dans une quasi indifférence. Celle du plus grand nombre, celle des autorités…
Tu vois, j’ai mal à ça, mon amour… Á cette non-réponse, à ce silence qui n’est plus celui du recueillement, mais presque celui d’un tombeau. Ce silence qui laisse des humains marcher vers la mort, pour avoir voulu une vie meilleure, comme la tienne, comme la mienne. Et je voudrais faire quelque chose, mais je ne possède que les mots. Les mots pour raconter. Le temps de l’analyse viendra après, et d’autres font ça tellement mieux que moi. Je laisse les mots couler, contre l’obscurité et le silence. Et la mort qui rôde, et notre indifférence. Et notre lâcheté…
Un billet de Virginie Godet
Share This